Le prix du sang
grands yeux bleus et cilla encore à la vue de lâuniforme kaki. Jamais elle ne sây ferait.
â Je nâirai pas. Tu sais que je dois aller à Rivière-du-Loup⦠et toi aussi.
â Moi, glissa Thalie, je vais garder le magasin, toute seule comme une grande. Dommage! Je lui aurais volontiers remis une autre plume.
Mathieu jeta un regard sur sa sÅur, puis déclara dâun air faussement sévère :
â Pour tâempêcher de faire cela, maman et Gertrude vont tâattacher sur ton lit, ou alors tu iras à la campagne à ma place.
â Voyons, ce nâest pas moi qui rêve dâune jolie fille timide. Tu ne sacrifieras pas ce voyage.
Elle le regardait en riant, amusée par la petite rougeur sur son cou. Mathieu répondit dâun sourire, puis expliqua à sa mère :
â Je vais aller à ce mariage. Je prendrai le train en fin de journée pour te rejoindre là -bas.
â Mais pourquoi? Mieux vaut ignorer totalement cette famille.
â Bien au contraire, je ne veux pas leur donner la chance de mâoublier.
Elle se troubla en se souvenant de la recommandation figurant au testament dâAlfred. La suggestion de prendre un jour possession du magasin de la Basse-Ville lui paraissait tellement ridicule.
â Si tu crois cela nécessaire, admit-elle pourtant. Jâattendrai pour faire le trajet avec toi.
â Vous êtes vraiment cruels, tous les deux, commenta Thalie. Deux personnes se languissent de vous dans le Bas-du-Fleuve, et au lieu de vous précipiter vers elles, vous trouvez de mauvaises raisons pour les faire attendre.
â Ma petite sÅur a à moitié raison. Maman, ne change rien à tes projets. Monsieur Dubuc est en train de se ruiner en timbres à tâécrire tous les jours. Jâirai à ce mariage samedi, puis je te rejoindrai en soirée.
Gertrude revenait de la cuisine avec un plat de service. Elle intervint sans vergogne dans la conversation :
â Et cette jeune personne toute frémissante?
â Elle profitera de ma compagnie tout un dimanche.
Françoise recevrait une portion congrue de sa présence.
* * *
Soulignée par le tintement joyeux de la clochette, la porte de la boutique sâouvrit pour laisser passer Ãlisabeth Picard. Elle marcha sans hésiter vers Marie, la main tendue. Après lâéchange de salutations et dâinformations sur leur santé réciproque, elle demanda :
â Puis-je vous parler un moment?
Devant les yeux interrogateurs de la marchande, elle ajouta :
â En privé.
Quelques minutes plus tard, elles sâenfermaient dans la salle de repos.
â Je peux nous faire un peu de théâ¦
â Ce ne sera pas nécessaire, je resterai seulement une minute. Vous avez reçu le carton dâinvitation?
â ⦠Oui, hier. Il est arrivé un peu à la dernière minute.
Le reproche implicite sâaccompagnait dâun sourire ironique. La visiteuse ne se troubla pas.
â Nous nâavions pas songé à vous inviter, mais les beaux-parents dâÃdouard ne lâentendent pas ainsi.
â Et votre époux mesure sans doute aussi combien lâabsence de sa seule famille prêtera à diverses interprétations.
Ãlisabeth resta immobile, un peu embarrassée. Marie jugea préférable de clarifier les choses tout de suite :
â Je préférerais mourir plutôt que de me trouver là . Mais je ne connaîtrai pas un sort aussi triste : je me rendrai plutôt auprès dâun ami très cher.
Une fois déjà , elle avait évoqué lâexistence de Paul à mots couverts devant la visiteuse. Celle-ci acquiesça dâun signe de tête, pour signifier son appréciation de la situation.
â Thalie devra sâoccuper du magasin, ce dont le futur marié et votre époux devraient se réjouir, compte tenu de son caractère fantasque. Mathieu entend y aller. Il représentera notre famille.
â ⦠Je serai heureuse de le revoir.
â Je vous crois. Votre sympathie pour mes enfants paraît sincère.
Marie marqua une pause, puis ajouta dans un sourire :
â Vous pouvez être rassurée : votre mari pourra compter sur la présence de son fils cadet au mariage de son aîné.
Cette fois, Ãlisabeth se troubla pour de bon. La longue étude du manuel de civilité de la
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