Le prix du sang
nâoserait refuser pareille invitation venant dâune femme aussi belle. Jâaccepte avec plaisir.
Un instant plus tard, une main sur sa taille fine, lâautre tenant légèrement ses doigts gantés, il lâentraîna dans un tourbillon.
â Vous êtes courageux de vous porter ainsi volontaire, dit-elle.
â Une qualité inégalement partagée chez les Picard.
Il lut la tristesse sur son visage, se trouva immédiatement mal à lâaise, puis bredouilla :
â Je vous demande pardon. Sincèrement.
Le silence sâinstalla entre eux, lourd. Il continua après une pause :
â Je ne sais pas si je suis courageux. Aucun des volontaires ne le sait vraiment. Nous partirons tous avec lâespoir que le feu ennemi frappera nos camarades, tout en nous épargnant. En ce qui me concerne, je le saurai là -bas. Selon les histoires sans cesse répétées au camp dâentraînement, la bravoure vient le plus souvent de ceux dont on ne lâattendait pas.
Ãlisabeth le regarda un moment dans les yeux, puis souffla :
â Je souhaite de tout mon cÅur que les balles vous épargnent. Sincèrement.
Au terme de la valse, Mathieu préféra sâéclipser discrètement.
* * *
La grande maison blanche, rue Hôtel-de-Ville, affichait un air de quiétude identique à celui de lâannée précédente. Le village semblait hors du temps. Marie se sentait presque chez elle, confortée par lâaccueil de Paul. Même tante Louise paraissait disposée à accepter la présence dâune nouvelle femme dans la vie de son frère cadet. Une veuve dans la maison dâun veuf heurtait bien des convenances, dâautant plus que le chaperon manquait à lâappel. Au moins, Mathieu serait là avant la nuit.
En fin dâaprès-midi, Paul avait multiplié les excuses avant de se rendre à une réunion politique. Amélie sâébattait près du fleuve avec une brochette de cousins et de cousines. Lâaînée demeura seule avec la visiteuse.
â Jâavais si hâte de le revoir, prononça Françoise.
Les deux femmes occupaient des fauteuils de rotin placés sur la longue galerie. Marie choisit de mentir un peu, par gentillesse.
â Lui aussi, soyez-en certaine. Il convenait quâau moins un membre de la famille assiste à ce mariage.
La jeune fille posa ses yeux gris sur son interlocutrice pour lâamener à répondre à une question muette.
â Personnellement, cela mâétait impossible. Mes relations avec mon beau-frère furent⦠très difficiles.
â ⦠Je comprends.
« Jusquâà quel point? » se demanda la femme. Elle connaissait assez la nature humaine pour se douter que les jeunes filles timides et sages possédaient une ouïe et une sensibilité très fines. Les vicissitudes de lâexistence ne présentaient peut-être pas de grands mystères pour elle.
â Comment se déroule votre été? demanda-t-elle, soucieuse de changer de sujet.
â ⦠Bien, sans doute.
â Vous ne paraissez pas certaine.
Françoise la regarda à nouveau et hésita un moment avant de confier :
â Lâété est merveilleux, avec papa et ma sÅur dans la maison. Mais je gâche tout en songeant sans cesse à lâautomne prochain.
Elle baissa le regard avant de poursuivre à voix basse :
â Il sera en Europe⦠et moi seule ici à me torturer dâinquiétude, sans personne à qui en parler. Enfin, tante Louise sera là â¦
à nouveau, elle chercha un appui dans les yeux de son interlocutrice.
â Mais sa présence ne se compare pas à celle de vos proches, je sais. Même Amélie doit faire une confidente agréable.
â Câest vrai. Elle répète les secrets qui nâen sont pas, mais se révèle absolument muette sur les autres.
Elle marqua une nouvelle pause avant de continuer.
â Jâai beau avoir dévalisé la Librairie Garneau fin juin et rationner mes lectures depuis, je ne pourrai mâoccuper lâesprit bien longtemps. Vous savez, lâhiver à Rivière-du-Loup est bien long.
â Je peux facilement imaginer le froid, les grands vents venus du fleuveâ¦
â Puis, papa restera sans doute à Québec toutes les fins de semaine.
Lâaffirmation contenait un
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