Le prix du sang
Québec avant que ces excités ne soient fatigués de ce jeu.
Après la pluie de cailloux et les cris menaçants, une détonation déchira la nuit. Les jeunes notables virent une flamme jaillir du canon dâun revolver.
â Cette fois, câest vraiment exagéré, déclara Ãdouard en tournant les talons. Quelquâun peut se faire tuer.
Le son de véhicules moteur se fit entendre à ce moment. Bientôt, quatre grosses berlines sâimmobilisèrent au milieu de la chaussée, une vingtaine de jeunes hommes particulièrement robustes en descendirent, un bâton de baseball dans les mains.
â Nous allons ramener Sévigny à Québec, déclara lâun dâeux en français, mais avec un fort accent anglais. Si vous vous en mêlez, tant mieux.
Sur ces mots, il fendit lâair de son bâton, comme pour frapper une balle invisible.
â Comment ces types ont-ils été avertis de ce qui se passe? demanda Wilfrid Lacroix à ses compagnons.
â Si personne nâa songé assez vite à couper les fils du téléphone de lâhôtel, répondit Ãdouard sans se retourner, quelquâun a pu rejoindre des organisateurs politiques à Québec. Le temps de faire le trajet sur de mauvaises routes de campagne, les voilà à la rescousse.
Si le marchand et ses compagnons furent les premiers à regagner la sécurité des wagons du Québec Central, les troupes de choc du Parti libéral les rejoignirent bientôt. Le chef de la petite bande avait perdu sa corde de pendu et le côté droit de son visage était couvert de sang, résultat dâun rude coup sur la tête. Ses lèvres éclatées arboraient une moue étrange. Cela nâaffectait pas le moins du monde son moral.
â Je pense quâau second jour de sa campagne électorale, Sévigny sâest montré pour la toute dernière fois dans son comté.
Son rictus montrait une bouche privée depuis peu de ses dents de devant.
Le train quitta bientôt le village de Saint-Anselme. Ãdouard réalisa avoir passé les dernières heures à ressasser ses souvenirs dâune rue de Québec portant le même nom. Plus précisément, il se rappelait un petit appartement sis dans cette rue.
20
Les travailleuses sortaient des bureaux de la Quebec Light un peu après six heures. Ãdouard se tenait du côté nord de la rue Saint-Joseph, juste en face du grand édifice. Clémentine en émergea en compagnie de quelques compagnes de travail. Elle remarqua tout de suite la silhouette de son ancien amant, élégant dans son paletot de laine, un chapeau melon sur la tête.
â Quâest-ce quâil veut encore, celui-là ? déclara lâune dâentre elles.
â Viens avec nous, ajouta une autre. Fais semblant de ne pas le voir.
Le jeune Picard, debout sur le trottoir opposé, la regardait fixement. à la fin, elle murmura :
â Continuez sans moi, je vais lui parler.
Elle traversa la rue et se trouva bientôt en face du jeune homme, les yeux levés. Ses boucles blondes dépassaient sous son chapeau. Ses yeux paraissaient gonflés de larmes et le visage un peu plus étroit, comme amaigri.
â Comment vas-tu? demanda-t-il à voix basse.
â Cela ne te regarde plus.
Elle marqua une pause, puis ajouta, sa résolution déjà vaincue :
â Pourquoi veux-tu le savoir?
â Je mâinquiète pour toi.
â Ton épouse va bien? Elle est plutôt jolie⦠dans son genre.
â Elle va bien, excepté des vomissements tous les matins au cours des derniers mois. Elle est enceinte.
Clémentine encaissa le choc et fit mine de tourner les talons.
â Et toi, comment te portes-tu? sâempressa-t-il de demander.
â ⦠Je vais bien. Comme de plus en plus de gens sâabonnent à la distribution dâélectricité, le travail ne manque pas⦠Au fond, pour les personnes comme moi, câest la seule chose qui compte, nâest-ce pas? Si les gages arrivent toutes les semaines, je vais bien.
â ⦠Jâen suis heureux. Avec lâappartement, tout se passe bien aussi?
Ces quelques mots permettaient de lui rappeler quâelle demeurait sa débitrice. Ses mouvements dâhumeur pouvaient lui coûter cher.
â Oui⦠Merci de continuer de le payer.
â Ce nâest rien.
Ces
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