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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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mots traduisaient toute la distance entre eux.
    â€” Je te souhaite le meilleur, continua-t-il. Je vais rentrer.
    Au moment où il s’apprêtait à s’en aller, elle demanda encore :
    â€” Pourquoi… Pourquoi m’as-tu attendue ce soir?
    â€” Parce que je garde pour toi la même affection qu’auparavant.
    Elle écarquilla les yeux, incertaine de l’attitude à adopter.
    â€” Encore une fois, bonne chance, je suis heureux de t’avoir parlé.
    Cette fois, Édouard lui tourna le dos et marcha en direction du magasin PICARD. Clémentine regarda la silhouette s’éloigner, puis elle hâta le pas en direction de la rue Saint-Anselme.
    * * *
    Le lundi 17 décembre, Marie descendit de l’appartement coiffée de son chapeau, son manteau de laine sur le dos. Elle finissait d’enfiler ses gants au moment de passer devant la caisse. Françoise acceptait vingt sous d’une cliente pour une paire de mouchoirs brodés. Le commerce de vêtements pour femmes lui révélait ses secrets l’un après l’autre. Pas une minute, elle ne regrettait d’avoir accepté l’offre étonnante, plusieurs mois plus tôt.
    â€” Pourras-tu t’occuper de tout pour quelques minutes? La jeune femme répondit par un sourire. Articuler un « oui, bien sûr » lui paraissait présomptueux.
    â€” J’ai un peu le trac, admit la commerçante. C’est la première fois.
    â€” Les journaux ont été assez explicites, samedi dernier.
    â€” Oh! Ce n’est pas le fait de mettre mon « X » sur un bout de papier. Plutôt, toute cette situation me trouble. Pour les femmes, ce jour est important.
    Sur un dernier salut, Marie quitta la boutique. Un bureau de scrutin se trouvait dans le hall de l’hôtel de ville, de l’autre côté de la rue. Elle se tint bientôt au milieu d’un groupe d’hommes, des voisins pour la plupart, qui la saluèrent d’une inclinaison de la tête. Certains exprimaient dans leur regard une certaine réprobation. Pour plusieurs, permettre aux femmes de voter demeurait une nouveauté à la fois étrange et menaçante. Surtout, elle tenait le privilège de se trouver là à l’un de ses proches qui était dans l’armée. Les personnes dans sa situation, pariait le premier ministre Borden, se prononceraient toutes en faveur de son gouvernement. Afin de procurer des renforts à leurs êtres chers, estimait-il, elles favoriseraient la conscription.
    Non seulement la marchande voterait-elle, mais sans doute, aux yeux de tous ces hommes, ce serait pour le mauvais candidat.
    Elle atteignit l’entrée d’une petite salle et prononça de sa voix la plus ferme :
    â€” Marie Picard. Si vous préférez, madame veuve Alfred Picard.
    â€” Oui, madame, je vous reconnais, répondit le vieil homme assis à la porte, en consultant sa liste de noms.
    â€” Mon fils Mathieu se trouve présentement en Angleterre, avec le 22 e bataillon.
    â€” Je sais cela aussi. Son départ a été abondamment discuté chez vos voisins.
    L’homme chercha sa règle de bois, l’utilisa pour tracer une ligne bien droite sur son nom à l’aide d’un crayon rouge. Il lui remit un morceau de papier, puis désigna un coin de la salle.
    â€” Derrière ce rideau, là-bas, vous trouverez un crayon. Vous replierez ce bulletin et le glisserez vous-même dans la boîte.
    La nouvelle électrice se retira et traça un « X » bien net dans la case au bout du nom du candidat libéral. Le responsable du bureau de scrutin la regarda glisser le morceau de papier dans le trou rond sur le sommet de la boîte, puis lui déclara :
    â€” Voilà une bonne chose de faite, madame Picard. Nous nous reverrons sans doute dans quatre ans.
    Elle quitta les lieux réconfortée. Certains hommes trouvaient tout naturel de la voir exercer son droit de vote.
    * * *
    Les Canadiens français se plaisaient souvent à voir dans la politique partisane un jeu enlevé, disputé environ tous les quatre ans, pour lequel se passionner pendant quelques mois. Ensuite, libéraux et conservateurs tentaient d’oublier les excès de langage survenus dans la chaleur de la lutte.
    Le scrutin de 1917 échappait à cette tradition. Cette fois, des milliers de vies reposaient dans la

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