Le prix du sang
chambres, si vous me donnez lâadresse.
â ⦠Je préférerais que vous mâattendiez à peu de distance de lâédifice de la Quebec Light. Je termine tous les soirs à six heures. Bien sûrâ¦
â Ne craignez rien, je ne ferai rien qui pourrait être susceptible dâalimenter les ragots⦠Attendez, je vais vous aider.
Depuis un instant, elle cherchait la poignée pour ouvrir la portière. Ãdouard descendit et lui permit de sortir. Quand elle fut sur le trottoir, il lui tendit la main en ajoutant :
â Je vous remercie pour ces deux petites heures. Elles ont passé trop vite.
Elle accepta de la serrer, demeura silencieuse, se contentant dâun sourire, avant de tourner les talons pour rentrer à la maison.
* * *
Un peu après le souper, Fernand se présenta au domicile de la rue Scott avec, à la main, quelques branches de lilas réunies dans du papier de soie. Venue ouvrir, Jeanne les reçut avec un air joyeux, comme si lâoffrande était pour elle, en murmurant : « Je vous débarrasse. » Eugénie arriva bientôt dans le vestibule et fit remarquer après une hésitation :
â Quelle délicate attention. Merci. Vous les mettrez dans un pot. Elles seront parfaites sur la table de la salle à manger.
Les derniers mots, destinés à la domestique, provoquèrent la disparition de celle-ci vers la cuisine.
â Ma mère possède quelques arbres à floraison tardive, expliqua lâhomme en rougissant. Jâai un peu pillé son jardin avant de venir.
â Je crois que ses fleurs sont sa passion.
â Elle disparaît dans les plates-bandes en mai pour réapparaître en septembre.
Eugénie se souvint combien, adolescente, la grosse madame Dupire suscitait toutes ses moqueries. Le nez dans le terreau, elle offrait aux passants le spectacle de son postérieur marmoréen pointé vers le ciel. Sa taille, tout comme lâampleur de ses jupes, enlevait tout caractère érotique à la scène pour nâen laisser que le grotesque.
Le moment ne se prêtait guère à ce genre de réminiscence. La jeune femme portait des longs gants couvrant la moitié de ses avant-bras. Son chapeau de paille à larges rebords protégerait son teint pâle des affronts du soleil couchant. Sa robe dâindienne témoignait quant à elle des richesses du magasin PICARD. Personne ne critiquerait sa mise ou son maintien.
Fernand, dans un costume de lin, son canotier sur la tête, nâétait pas en reste. Tous deux incarnaient, en cette soirée de juillet, des jeunes gens de la Haute-Ville se découvrant mutuellement des affinités sur le tard, après avoir été élevés dans des maisons distantes de cent cinquante pieds à peine.
â Je ne pense pas quâune ombrelle soit nécessaire, commenta Eugénie en regardant par la porte laissée ouverte.
â Le soleil joue à cache-cache avec de gros nuages blancs. Vous nâavez rien à craindre.
Les jeunes femmes de la bonne société prenaient bien garde de ne pas présenter un hâle de paysanne.
â Nous y allons? demanda-t-elle.
â Jâaurais aimé saluer vos parents.
â Pour cela, vous devrez passer la semaine prochaine.
Le notaire se rappela alors les projets de vacances évoqués lors dâune visite antérieure. Il sortit et attendit que sa compagne ferme la porte pour descendre avec elle lâescalier conduisant à une courte allée couverte de gravier blanc. En posant les pieds sur le trottoir, il lui tendit son bras gauche et apprécia la main gantée posée près de son coude.
Tout le long du trajet vers la terrasse Dufferin, ils échangèrent des phrases convenues sur la douceur du temps, lâéconomie tournant au ralenti depuis lâannée précédente ainsi que lâaffluence de personnes désireuses, comme eux, de prendre lâair afin de faire passer leur repas.
Sâils avaient eu dix-huit ou dix-neuf ans, des badauds auraient froncé les sourcils en les voyant ensemble sans aucune supervision dâun chaperon. à leur âge, cela ne faisait plus de problème : la passion de la jeunesse devait céder le pas aux amours raisonnées. Sur la terrasse Dufferin, le couple profita dâun banc placé face à la lourde balustrade de fonte devant prévenir
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