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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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les chutes de la falaise. La contemplation du fleuve, plusieurs dizaines de pieds plus bas, ramenait toujours les mêmes souvenirs aux habitants de la ville de Québec.
    â€” Quand je me tiens ici, je vois encore en esprit la flotte britannique de l’Atlantique Nord, commenta Fernand. Quel spectacle c’était!
    â€” … Je n’en ai pas beaucoup profité, répondit la jeune femme après un regard préoccupé vers son compagnon. Avec le pageant tous les soirs…
    â€” C’est vrai, vous faisiez partie de la distribution… Je vous trouvais si ravissante dans votre grande robe blanche, toute de dentelle.
    â€” Si vous l’aviez vue à la fin de la dernière représentation! Nous passions toutes les soirées à essayer d’éviter les accrocs, sans vraiment réussir. Ces sous-bois recelaient trop d’arbustes épineux.
    Eugénie ne put réprimer une mimique chargée d’ironie. Combien les buissons s’étaient révélés accueillants alors que la flotte avait représenté une menace mortelle!
    â€” Édouard ne cessait de m’entraîner à flanc de falaise afin de contempler ces foutus navires. Je ne comprends pas encore comment j’ai évité de me rompre le cou. D’un côté, il maugréait sans cesse contre l’impérialisme, de l’autre, la vue de ces coques d’acier le mettait en extase.
    â€” Pourtant, ni les navires ni les équipages ne représentaient un bien grand intérêt, sauf pour les sots, souffla la jeune femme.
    Ce fut au tour de son compagnon de jeter vers elle un regard en biais. La remarque pouvait passer pour un coup de griffe au frère cadet. Toutefois, dans ces cas-là, le ton revêtait une forte dose de sévérité et infiniment moins de mélancolie. Plutôt que de s’enquérir du véritable sens de la remarque, l’homme donna plutôt libre cours à ses propres inquiétudes.
    â€” Je me demande combien de ces beaux officiers, sanglés dans leur uniforme de parade, arrogants et fiers, vivront encore dans un an.
    â€” Pardon?
    Eugénie jeta un regard horrifié à son compagnon. Comment pouvait-il se poser une pareille question?
    â€” Je suis désolé, consentit le notaire. Je dois m’adonner à une trop forte dose de dépêches étrangères, pour en arriver à aborder un sujet pareil avec vous.
    La femme faisant l’objet de ses assiduités devait à tout prix être préservée des cruautés de l’existence.
    â€” Tout de même, comme vous avez commencé, vous devez maintenant livrer le fond de votre pensée.
    â€” … Nous connaîtrons la guerre, bientôt. D’ici quelques semaines, tout au plus.
    â€” Voyons, ce ne sont pas ces querelles entre petits pays, autour d’un regrettable assassinat survenu dans une ville minuscule, qui conduiront à la conflagration.
    Eugénie se révélait habituellement bien peu intéressée par l’actualité politique. À ses yeux, toutes les pages des journaux, excepté la section féminine, pouvaient passer directement du vestibule de la maison à la cuisine pour recevoir des épluchures. Son aptitude à évoquer spontanément le prétexte de la guerre à venir montrait combien le sujet préoccupait tous les esprits.
    â€” L’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et sa femme Sophie furent tués à Sarajevo il y a un peu plus de deux semaines, bientôt trois, en fait. Cela suffit pour que l’Empire austro-hongrois déclare la guerre à la Serbie. Après cela, tout peut arriver.
    Eugénie plissa le front, songeuse. Édouard pouvait bien s’ennuyer de ses conversations politiques avec ce gros garçon placide : tous les deux dévoraient les journaux. L’idée d’une guerre lui paraissait si étrange, ses conséquences tellement inconcevables. Toutefois, une hécatombe parmi les officiers de l’amirauté britannique présentait un certain attrait. Elle évoqua ses souvenirs.
    â€” En 1870, entre la France et l’Allemagne, cela a duré tout juste quelques semaines. Cette fois encore, le conflit ne devrait pas faire beaucoup de dégâts.
    La jeune femme connaissait un peu cette guerre, car elle avait coûté son trône à l’impératrice dont elle portait le prénom.
    â€”

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