Le prix du sang
maintenant?
Durant quelques secondes, le commerçant pensa exiger sa présence à ses côtés pour faire le tour des petits groupes dâemployés dispersés dans le grand parc. Certains demeuraient étendus dans lâherbe, les hommes tenant à la main des bouteilles de bière rafraîchies dans le cours de la rivière Saint-Charles, et les femmes une limonade achetée au kiosque. Les plus courageux semblaient résolus à sâaffronter dans des parties de fer enlevantes, malgré la canicule.
La vue de la jeune blonde restée un peu à lâécart à sâennuyer ferme, lâépaule appuyée contre un arbre, adoucit considérablement lâhumeur paternelle.
â Câest bon, va la rejoindre.
Le jeune homme déguerpit sans demander son reste⦠pour voir sa belle-mère accrocher son bras au sien après trois pas à peine.
â Tu vas me la présenter.
â Voyons, mamanâ¦
Elle pinça son bras doucement et rétorqua :
â Tut, tut. Ne commence pas maintenant à me faire des cachotteries, après nos dix-huit ans de fréquentation quotidienne. Tu tiens à elle?
â Elle est gentille.
â Ce nâest pas ce que je tâai demandé.
â Je ne sais pas. Honnêtement. Mais elle est gentille.
â Aussi gentille que moi quand je suis arrivée chez ton père?
Le jeune homme ralentit le pas et jeta un regard incertain vers Ãlisabeth. Celle-ci eut un sourire contraint et poursuivit à mi-voix, alors quâils approchaient de la jeune fille :
â Car elle se trouve un peu dans la même situation face à toi que moi face à Thomas, nâest-ce pasâ¦
Puis, après une pause, elle ajouta dans un souffle :
â Gentille et très jolieâ¦
Un instant plus tard, troublé, Ãdouard prononçait en rougissant :
â Maman, je te présente Clémentine LeBlanc⦠Clémentine, maman.
Elle tendit une main timide. Son cou offrait une teinte cramoisie. Elle articula alors dâune voix chevrotante :
â Madame.
â Bonjour, Clémentine, je suis heureuse de vous connaître.
Sa curiosité satisfaite et ses recommandations communiquées à mots couverts, Ãlisabeth ne savait comment enchaîner. Aussi conclut-elle en les englobant dans un seul regard :
â Je vous souhaite un bel après-midi.
â ⦠Madame.
Ãdouard offrit son bras à sa compagne. Le parc Victoria prenait la forme dâune énorme goutte de suif allongée, délimitée par les méandres boueux de la rivière Saint-Charles. En parallèle, la Pointe-aux-Lièvres affectait la même forme, inversée toutefois. Les ateliers Picard sây trouvaient depuis leur fondation. Des bâtisses de brique remplaçaient cependant celles des débuts, faites de planches mal ajustées.
Tous les employés masculins des entreprises Picard avaient reçu deux billets afin dâassister à la partie de baseball dominicale des Rock City, lâéquipe commanditée par les propriétaires de lâusine de cigarettes de la paroisse Saint-Roch. Le stade demeurait dâune envergure modeste, une construction en forme de « V ». Les estrades suivaient les lignes supérieures du losange. Après avoir conduit la jeune fille jusquâà un siège situé dans la seconde rangée, juste derrière le receveur, Ãdouard déclara :
â Tout à lâheure, je regrette de ne pas vous avoir apporté de quoi manger, mais la viande devenue froide gisait dans de la graisse figée. Je vais aller nous chercher deux hot dogs .
â Ce nâest pas nécessaireâ¦
â Je nâai pas mangé non plus, et dans mon cas, câest nécessaire.
Quand, un peu plus tard, Clémentine achevait de mastiquer la saucisse fourrée dans un pain, elle confia :
â Votre mère est très jeune⦠et très belle.
â En réalité, câest ma belle-mère, la seconde épouse de mon père. Elle est presque aussi jolie que vous.
La jeune femme rougit jusquâaux oreilles et sâintéressa vivement aux déplacements des joueurs des deux équipes sur le grand losange sâétalant sous ses yeux. Ãdouard lui tendit sa bouteille de bière.
â Vous en voulez un peu?
â ⦠Cela ne se fait pas.
â Je vous assure, je
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