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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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homme.
    â€” Oui. Un individu si désireux de mourir en héros sur un champ de bataille qu’il a commencé par placer deux balles dans la nuque du seul homme susceptible d’empêcher la boucherie.
    Ã‰lisabeth, un peu dégoûtée par le cours de la conversation, appuya sa serviette sur ses lèvres avant de ramener chacun au programme de la journée :
    â€” Comme l’église Saint-Roch se trouve un peu loin…
    Elle recula sa chaise. Édouard quitta sa place pour l’aider à se dégager de la table.
    â€” Je compte sur vous trois, ce midi, précisa Thomas en se levant à son tour. Eugénie, tu viens aussi. Les employés doivent te voir le jour du pique-nique de la compagnie, de même qu’à la Saint-Jean et à la fête du Travail. Cela fait partie de tes obligations de fille du patron.
    La jeune fille leva vers lui des yeux écarquillés, les sourcils levés, comme pour signifier : « Mais je n’ai rien dit. Pourquoi ne pas me laisser tranquille? » Ses réticences, exprimées des années plus tôt, à participer à ces représentations mettant en scène la merveilleuse famille du roi du commerce de détail lui valaient encore ce genre de remontrance.
    â€” C’est d’autant plus important que tu seras la seule à pouvoir communier, ajouta Édouard, narquois. Tu n’as rien avalé ce matin.
    â€” De mon côté, avec la journée devant nous, pas question de rester à jeun, se justifia le père.
    â€” Sans compter que tu dîneras bien tard, se moqua son fils en lui adressant un clin d’œil. Tu préféreras ne pas goûter à la nourriture offerte si généreusement à tes employés de peur d’avoir des brûlures d’estomac.
    La réponse paternelle à ce petit coup de griffe pouvait se révéler virulente. Le garçon choisit de s’esquiver en précisant:
    â€” Je vais démarrer la voiture.
    La corvée pouvait s’allonger jusque tard dans l’après-midi. Prévoyante, Eugénie se dirigea vers la salle d’eau. Laissé seul, le couple échangea un regard un peu lassé, puis l’homme murmura :
    â€” Tout de même, après le Carillon-Sacré-Cœur, il ne songe pas à se promener dans les rues un drapeau rouge à la main?
    â€” Il songe surtout aux longues années le séparant de la direction du magasin Picard, répliqua Élisabeth en plaçant une main sur la poitrine de son mari.
    â€” Je ne vais pas mourir tout de suite pour lui faire de la place.
    â€” J’espère bien que non. Après tout, je suis encore très jeune, moi. Trop jeune pour faire une veuve convenable.
    Sur ces mots, pour éviter qu’une main envahissante ne vienne froisser sa robe à un endroit stratégique, elle se sauva en riant. Au moment de sortir de la salle à manger, elle se retourna, le temps de dire avec un clin d’œil :
    â€” Et pas question de sieste cet après-midi. Tu auras tant à faire…
    Son époux sourit en songeant à la longue soirée devant eux, mais ne put retenir ses mots :
    â€” Foutu pique-nique.
    * * *
    Après une messe où l’abbé Émile Buteau chanta les louanges des généreux patrons catholiques procurant à des centaines de travailleurs les moyens d’assurer leur subsistance, les deux cents employés des entreprises Picard se retrouvèrent au parc Victoria afin de profiter du pique-nique annuel offert par le patron.
    Au moment de consacrer l’endroit aux loisirs des classes laborieuses, le maire de Québec avait dû mener une guerre soutenue aux agriculteurs. Ceux-ci utilisaient la prairie de forme elliptique pour faire paître leurs vaches. La date de l’inauguration, tenue en grande pompe en 1897, l’année du jubilé de diamant de la gracieuse souveraine du Royaume-Uni et de ses colonies, justifiait le nom adopté. Depuis, une fois les bovins repoussés au nord de la rivière Saint-Charles, le parc Victoria offrait de grands arbres, des allées ombragées, un kiosque abritant un restaurant ainsi qu’une gloriette sous laquelle l’orchestre de la Garde Champlain distillait une musique de kermesse.
    â€” Quand je suis venu ici pour la première fois, la rivière embaumait l’égout, se souvint Édouard à haute voix.
    â€” On ne peut pas

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