Le prix du sang
autour de sa taille fine, le temps de lâentraîner sous une porte cochère. Un instant plus tard, ses lèvres se posaient, légères, sur sa bouche surprise. Puis, le scénario précédent, mettant en vedette la main, se répéta cette fois avec son petit visage. La jeune fille se raidit dâabord, voulut protester, puis une curieuse langueur sâempara dâelle. Les sensations éprouvées au théâtre revenaient, plus fortes et une lourdeur pesait sur son bas-ventre.
Ãdouard laissa glisser ses lèvres sur la ligne de la mâchoire, sâarrêta sur la peau très douce sous lâoreille gauche. Le nez dans les boucles blondes, il apprécia lâodeur de rose et saisit le lobe entre ses lèvres pour tirer légèrement. Clémentine posa ses mains sur ses épaules. Elle sâaffaissa un peu, gémit doucement. Les remarques des confesseurs sur la faiblesse de la chair prenaient tout leur sens.
â Non⦠non, il ne faut pas.
La langue titilla un peu le lobe, descendit le long de la jugulaire. Le contact suffit à la faire taire, le temps pour lui de glisser sa main contre le flanc et dâapprécier la chaleur de la chair sous la robe. Au moment où sa bouche retrouvait lâautre bouche, ses doigts sâemparèrent dâun sein menu, tiède et ferme, couronné dâune fraise raidieâ¦
â Non, arrêtez.
Le mouvement de recul, le ton désespéré amenèrent Ãdouard à retirer sa main et à se redresser pour regarder le petit visage levé vers lui.
â Ce nâest pas bien, insista-t-elle.
En même temps, la crainte de le voir tourner les talons pour ne jamais revenir la tenaillait. Que fallait-il accorder pour retenir un homme de la Haute-Ville? Où fallait-il sâarrêter pour ne pas passer pour une traînée?
â Vous êtes tellement jolie, prononça-t-il en posant sa paume sur une de ses joues. Je ne peux mâen empêcher.
â Ce nâest pas bienâ¦
â Vous êtes si désirable.
Les doigts légers caressaient sa joue, déplaçaient les bouclettes blondes dépassant sous la cloche du chapeau. Elle inclina la tête en levant lâépaule gauche, ferma les yeux.
â Vous penserez du mal de moi.
â Pourquoi dites-vous une chose pareille?
â ⦠Les hommes nâaiment pas les fillesâ¦
Plus exactement, les hommes classaient lâautre moitié du monde en deux groupes : les femmes jetées après un usage intime dans une cour sombre et les mères de leurs enfants.
â Jamais je ne penserai du mal de vous, vous le savez.
Ãdouard se pencha sur elle, effleura ses lèvres, puis murmura :
â Je vais vous reconduire.
Quelques minutes plus tard, tous les deux se serraient la main devant la porte de la maison de chambres.
â Accepteriez-vous de mâaccompagner sur la terrasse Dufferin demain⦠ou après-demain? Quand cela vous conviendra le mieux. Nous pourrons entendre quelques valses.
Clémentine rougit violemment, certaine que sa petite poitrine nâéchapperait désormais plus aux doigts inquisiteurs. Elle répondit pourtant :
â Jâen serais heureuse. Demain, si vous voulez.
â Je te remercie.
Ce premier tutoiement marquait une nouvelle intimité entre eux.
* * *
Le Quebec High School for girls se dressait rue Saint-Augustin. Depuis les fenêtres en façade, la vue de lâédifice de lâAssemblée législative se révélait imprenable. La distance à parcourir, depuis le commerce ALFRED, exigeait que Thalie parte de la maison une dizaine de minutes plus tôt que lâannée précédente. Le mercredi 3 septembre, elle parcourut le trajet de son pas décidé pour la première fois, petite et mince dans sa longue jupe noire et sa veste de la même couleur. Ses cheveux formaient une lourde tresse qui lui battait les épaules au moindre mouvement de la tête. Son chapeau genre canotier, noir aussi, sâinclinait sur son Åil droit.
Lâimmeuble de brique comptait sept classes entre lesquelles, lors de cette rentrée 1914, se partageaient cent vingt-huit élèves, âgées entre douze et dix-huit ans. Parmi elles, quatre catholiques bravaient les interdits. Trois venaient de familles de souche irlandaise désireuses de leur assurer une meilleure formation quâau
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