Le prix du sang
couvent. Une seule venait dâune famille canadienne-française.
Malgré ses lacunes en anglais, plus évidentes à lâoral quâà lâécrit, Thalie obtenait le privilège de commencer sa scolarité en neuvième année⦠avec au-dessus de la tête la menace dâêtre rétrogradée en huitième si, après un mois, sa performance décevait. Quitte à ne pas fermer lâÅil une minute en septembre, lâadolescente demeurait résolue à ne jamais connaître cet outrage.
Le premier jour dâécole, excepté les nouvelles admises en septième année, timides et un peu à lâécart, toutes les élèves retrouvaient des amies chères. Les accolades un peu affectées, les cris excités, les éclats de rire donnaient au trottoir et au hall dâentrée lâallure dâune ruche bourdonnante. Certaines se connaissaient depuis le jardin dâenfant ou leur premier jour à lâécole élémentaire. Ces manifestations de joie exagérées accentuaient encore le malaise des étrangères.
à huit heures trente, des alignements de jeunes filles se formèrent dans la grande salle, sous les commandements brefs dâune dame dans la cinquantaine, grande et maigre, aux cheveux dâun gris acier réunis en chignon sur la nuque. La directrice assumait aussi la responsabilité de la classe des plus grandes, qui comptait seulement sept élèves.
La première surprise, pour une catholique perdue chez ces gens de « religion prétendument réformée », comme certains prêtres aimaient les désigner, était lâabsence des accoutrements étranges des religieuses : robes informes noires, grises ou brunes; coiffes, cornettes ou voiles sur la tête; cordons ou énormes chapelets noués autour de la taille; immense croix pendant au cou. Les sept institutrices portaient des robes susceptibles de venir de chez ALFRED. La plupart montraient une alliance à lâannulaire.
Une fois les membres de chacune des classes regroupées en deux lignes bien droites, la directrice présenta les maîtresses de chaque groupe. Mrs. Ann Thompson, une grande jeune femme allant sur ses trente ans, sâoccuperait des élèves de neuvième. Ces brèves présentations terminées, les écolières regagnèrent leur classe dans un ordre parfait, les plus jeunes en premier.
Mrs. Thompson, les bras chargés de cahiers et de livres, gravit dâun pas souple les marches jusquâau second, son petit troupeau derrière elle. Elle sâarrêta devant la porte ornée dâun « 2B » de métal et risqua de laisser choir sa charge en essayant dâatteindre la poignée. Thalie quitta le second rang pour donner libre cours à son instinct de marchande de rubans :
â Let me help you, Mrs. Thompson , prononça-t-elle en ouvrant la porte.
â This is very kind of you, Missâ¦
â Picard, Thalie Picard.
Elle esquissa une mauvaise révérence, suscita quelques ricanements de ses camarades et regagna sa place dans la petite file indienne. La première impression, la plus déterminante, serait positive. Lors du repas du soir, lâinstitutrice commenterait à son époux le comportement de la charming French little girl présente dans sa classe.
La seconde surprise, pour une personne étrangère aux mÅurs de ceux qui abandonnaient la seule vraie foi pour suivre des protestataires, fut le moment de la prière. Les adolescentes, debout à côté du pupitre qui serait le leur toute lâannée, se recueillirent en silence. Comme elles appartenaient à des dénominations religieuses différentes â anglicane, méthodiste ou presbytérienne, par exemple â, la maîtresse nâinspirait aucun mot à ses élèves, et lâenseignement religieux se limitait à des exposés sur lâAncien et le Nouveau Testament et à des discussions sur des valeurs chrétiennes largement partagées.
Aucune de ces nouveautés ne heurtait la conscience de la nouvelle. Elle comprenait cependant très bien que jamais son conseiller spirituel, à la paroisse Notre-Dame-de-Québec, ne devrait même soupçonner cette première impression favorable.
Quelques minutes plus tard, lors de lâappel, après avoir prononcé son nom avec un accent
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