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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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risque de ployer sous la botte prussienne. L’esprit primesautier, l’amour de la liberté risquent de s’éteindre, étouffés par le militarisme des envahisseurs.
    â€” Tu portes un uniforme britannique et tu parles de la France, hurla quelqu’un dans la salle.
    â€” Le Royaume-Uni, fidèle à la parole donnée, combat depuis près d’un an et demi en terre française pour la liberté de notre mère patrie. Des centaines de milliers de jeunes gens venus de Grande-Bretagne affrontent les balles allemandes pour défendre le pays de nos ancêtres. De très nombreux Canadiens anglais se trouvent à leurs côtés. Avez-vous moins de courage que ceux-là, quand vient le moment de vous porter au secours de vos frères de sang?
    L’orateur attendit un long moment. Sa question demeura sans réponse. Puisque la France demeurait la plus menacée, l’argument anti-impérialiste paraissait déplacé. Dans les balcons de l’Auditorium, un autre Picard suivait l’exposé avec une grande fascination. Édouard se trouvait assis en compagnie d’Armand Lavergne, attentif à chaque mot prononcé. Bientôt, une autre voix lança depuis le parterre de la salle :
    â€” C’est la France républicaine et anticléricale que Dieu punit de cette façon. Elle reviendra dans le droit chemin et retrouvera sa grandeur.
    Un courant de satisfaction parcourut la foule. La France qui, dix ans plus tôt, chassait les religieuses, les religieux et les prêtres de ses écoles, en sortait les crucifix, devenait bien étrangère à ces catholiques soumis à leurs confesseurs.
    â€” Vous préférez la France qui parlera bientôt allemand et apprendra à battre le pavé au rythme de ses nouveaux maîtres? hurla le journaliste en rupture de pupitre.
    Lavergne se pencha vers son compagnon et confirma :
    â€” Le bougre a bien appris sa leçon. Il risque de gagner de nouvelles recrues pour l’armée britannique sans jamais prononcer le nom du roi. Ou celui de notre grande métropole.
    â€” Il ne convaincra personne, répondit Édouard dans un souffle.
    Le conférencier évoquait maintenant les centaines de jeunes gens nouvellement enrôlés sous le commandement d’officiers de langue française récemment rentrés du front.
    â€” Pourtant, il me semble rudement efficace.
    â€” Dans cette salle, le nombre de personnes désireuses d’aller se faire tirer dessus pour le Royaume-Uni ou la France se compte sur les doigts d’une seule main. Baptiste ne connaît aucun de ces pays, pas plus qu’il ne connaît le Reich allemand ou l’Empire austro-hongrois. Son champ, sa manufacture ou son atelier représentent la frontière de son univers. En plus, à cause de la demande grandissante, il se retrouve avec un peu plus de sous dans ses poches qu’auparavant, et il désire en profiter.
    L’usage du vieux prénom Baptiste, si souvent porté par ses compatriotes au siècle précédent, permettait de désigner la masse des gens peu instruits dont le quotidien se trouvait circonscrit par un horizon étroit. Ces gens-là se souciaient peu des conflits touchant l’Europe.
    Olivar Asselin aborda ensuite le devoir de se porter au secours de la mère patrie, présente dans tous les cœurs. Plus personne ne se risquait à l’interrompre encore, de peur de mériter une accusation de lâcheté à peine voilée. Le petit homme était doté d’une langue terriblement acérée, qui rappelait la plume trempée dans l’acide du temps du périodique Le Nationaliste . Tout au plus, pour manifester leur opposition muette, quelques personnes quittaient leur siège.
    Presque une heure plus tard, l’orateur irascible mit fin à sa péroraison. De rares applaudissements polis soulignèrent son départ de la scène. Lentement, dans un bruissement de conversations murmurées, l’assistance se répandit dans les allées et progressa vers les portes. De part et d’autre du hall de l’Auditorium, deux tables avaient été dressées. Des hommes en uniforme offraient aux spectateurs de signer sur-le-champ leur demande d’enrôlement. Leur présence se trouvait facilitée, car à Québec, l’armée logeait son service de recrutement dans les locaux commerciaux

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