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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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silencieux. Chez les Dupire, l’absence de tout bruit était simplement plus oppressante. Cela tenait peut-être au décor austère, aux conversations ennuyeuses ou à la rareté des éclats de rire. Les paroles sourdes du jour donnaient aux silences du crépuscule une curieuse densité.
    Fernand comprit parfaitement et prononça, une certaine compassion dans la voix :
    â€” Vous n’êtes pas heureuse, ici.
    Un peu plus, et il ajoutait : « Moi non plus. »
    â€” C’est mon travail, je n’ai guère le choix. Puis, honnêtement, sous ce toit, j’ai peu à faire.
    Cela n’allégeait pas son ennui. Au moins, elle ne songeait pas à le nier. L’obscurité et ce gros homme en peignoir donnaient une curieuse intimité à la conversation.
    â€” Vous n’avez jamais occupé un autre genre d’emploi?
    â€” Je ne sais rien faire d’autre. Vous vous souvenez certainement, je suis arrivée chez les Picard toute jeune, maigre et timide comme une souris. Mes gages, payés directement à mon père, devaient permettre à mes frères et sœurs de survivre à l’hiver. La situation n’a pas changé.
    Dans l’obscurité, l’homme sourit. Elle ne ressemblait guère à la gamine efflanquée de 1907. Elle présentait les formes d’une jolie femme. Le contact quotidien d’Élisabeth, et même d’Eugénie, lui avait donné un vocabulaire adéquat tout en débarrassant sa voix de l’accent de Charlevoix.
    â€” Pensez-vous à nous quitter aussi, afin de travailler dans une usine de munitions?
    Ã€ peu de distance de la rue Scott, sur les plaines d’Abraham, la manufacture de fusils Ross fonctionnait à plein régime. Il en était de même de l’Arsenal, à l’intérieur des murs de la ville. Des centaines de jeunes filles trouvaient dans ces endroits un emploi raisonnablement payé.
    â€” Ma mère disait justement ce soir au souper, continua l’homme, que de nombreuses domestiques ont quitté les domiciles de nos voisins. Elles préféreraient ce genre de travail.
    Le motif de ce choix tenait moins au meilleur salaire qu’à la liberté dont bénéficiaient les ouvrières des manufactures : après dix ou onze heures par jour d’un travail harassant, au moins, elles ne devaient pas accourir en soirée au moindre tintement d’une clochette d’argent.
    â€” Pour avoir les contremaîtres après moi? Je ne crois pas que j’y gagnerais.
    Cela aussi faisait partie du lot quotidien des ouvrières. Sur ce front, les hommes de la famille Dupire ne paraissaient pas présenter une bien grande menace. Fernand se troubla un peu à l’allusion, au point de poser son verre vide sur une table basse et de dire en se levant :
    â€” Comme vous connaissez maintenant mes insomnies chroniques, vous pourrez toujours venir partager les vôtres avec moi, si vous en avez le goût. Bonne nuit, Jeanne.
    â€” … Bonne nuit, monsieur, murmura-t-elle, troublée par l’invitation.
    Un peu plus tard, le notaire retrouva son épouse, cette fois réellement endormie. Étendue sur le dos tout près d’elle, soucieux toutefois de ne pas lui toucher, et un peu anesthésié par l’alcool, il attendit patiemment la venue du sommeil.

8
    Pendant toute l’année 1915, la population de Québec s’alimenta aux journaux pour obtenir des nouvelles du grand conflit ensanglantant l’Europe. Les Canadiens anglais montraient toujours un enthousiasme indéfectible, leurs garçons s’enrôlaient maintenant par centaines de milliers pour voler au secours de la mère patrie. Les Canadiens français demeuraient très peu nombreux à le faire.
    â€” Les chiffres qui commencent à circuler à ce propos indiquent que nous sommes cinq fois moins nombreux à nous enrôler, expliquait Mathieu.
    Thalie et lui se tenaient au milieu de la grande salle de l’Auditorium de Québec. En ce 15 janvier 1916, plus de mille deux cents personnes s’y entassaient. Les ors des murs et les plafonds richement décorés fournissaient un cadre bien trop joyeux à cette foule inquiète, tendue.
    â€” C’est pour cela que partout au pays, on nous accuse de lâcheté, commenta l’adolescente.
    Du haut de sa petite taille et de ses presque

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