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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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seize ans, la jeune fille affichait toute sa vivacité. Sous un chapeau de feutre aux larges rebords, la lourde tresse de ses cheveux soulignait les mouvements de sa tête.
    â€” Cela peut devenir réellement dangereux. Les mouvements impérialistes réclament que le gouvernement impose la conscription. Avec tous les motifs de dispute existant déjà avec nos concitoyens, cela risque vraiment de mettre le pays à feu et à sang.
    Les grands yeux bleus de l’adolescente se posèrent sur lui, inquiets. Cette tension, elle la sentait avec une certaine acuité au Quebec High School. Un mouvement venu de la scène attira son attention. Le grand rideau de velours rouge s’ouvrait lentement.
    â€” Tu crois que le chiffre donné par le premier ministre Borden est réaliste? questionna-t-elle en baissant la voix.
    Devant l’étirement du conflit et l’épuisement des militaires déjà sur le terrain, le politicien évoquait son désir de faire passer le contingent canadien en Europe à cinq cent mille hommes.
    â€” S’il y arrive, le coût politique sera énorme. Fais le calcul avec moi. Le pays compte environ huit millions d’habitants. La moitié est de sexe masculin, et de ce nombre, la moitié encore a atteint l’âge adulte. On parle donc de deux millions d’individus, au mieux de deux millions et demi. Il songe à une armée comprenant entre le quart et le cinquième des hommes. C’est très considérable.
    Maintenant grand ouvert, le rideau de scène révélait un décor étonnant. Deux grands panneaux de bois, haut de huit pieds peut-être, reproduisaient une affiche de recrutement déjà familière, car les journaux et de très nombreux édifices publics l’arboraient depuis plusieurs semaines. Elle affirmait en lettres capitales « TOUS LES VRAIS POIL-AUX-PATTES S’ENRÔLENT AU 163 e C.F. ». Pour l’auteur de cette prose, les jambes poilues offraient la preuve incontestable de la virilité martiale! Venaient ensuite le nom du commandant en chef, Henri DesRosiers, un militaire rappelé du front pour rallier des volontaires, et celui du commandant en second, Olivar Asselin.
    â€” Tout de même, fit Thalie, c’est curieux. Utiliser ce journaliste nationaliste afin de gagner des volontaires de langue française pour une guerre étrangère…
    â€” Les mauvaises langues affirment que le bonhomme s’est lourdement endetté dans des opérations financières maladroites, et que sa femme lui fait grise mine, car il n’est pas en mesure de lui offrir un niveau de vie décent. L’armée serait un moyen de fuir les créanciers et la mauvaise humeur de sa douce moitié.
    â€” Où vas-tu chercher des histoires pareilles?
    Au moment où Mathieu donnait son explication à voix basse, un petit homme noir de cheveux, arborant un uniforme qui semblait trop grand pour lui, entra sur la scène. Ses longues bottes de cuir et son ceinturon, porté étrangement haut, presque sur la poitrine, lui conférait tout de même un air martial. L’adolescente réprima un petit fou rire, puis glissa :
    â€” Je craignais qu’il se présente affublé d’un costume aussi ridicule que celui de son affiche.
    La représentation des poil-aux-pattes, ces parangons de virilité, se révélait en effet risible : un barbu dans un uniforme bleu et rouge, un très large nœud papillon confectionné dans un tissu à carreaux au cou, la main droite dans la poche, la gauche tenant une cigarette. L’ensemble pouvait évoquer une multitude de choses, y compris la drôlerie d’un clown du cirque Barnum, mais pas la résolution du combattant. Même le petit effort de poésie patriotique de l’affiche ne corrigeait pas le premier effet ressenti :
    Le tambour bat, le clairon sonne;
    Qui reste en arrière?… Personne!
    C’est un peuple qui se défend.
    En avant!
    Olivar Asselin s’accrocha des deux mains au lutrin posé entre les grandes affiches, parcourut des yeux la foule massée devant lui, pour la plupart des hommes en âge de se battre, puis commença :
    â€” L’Empire germanique occupe une partie de la France et toute la Belgique. Paris se trouve presque à portée des canons allemands. La culture française, tout ce qui fait ce que nous sommes,

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