Le prix du sang
ville sont dirigées par des aumôniersâ¦
â Pas dirigées. Conseillées, bien sûr, mais les chefs sont des ouvriers.
Dâun regard, lâhomme signifia que la nuance, quand on évoquait le clergé catholique de la province, lui paraissait inutile.
â Sauf pour mon édification personnelle, ce qui constitue certainement un objectif louable, pour quelle raison me dites-vous tout cela? demanda Ãdouard.
â Votre père emploie au bas mot trois cents personnes⦠Les hommes parmi elles gagneraient à former un syndicat catholique.
â Au mot « syndicat », mon père devient violet de rage. Au mot « union », il risque lâinfarctus.
Ãdouard disait cela avec un grand sourire, comme sâil imaginait la scène plaisante.
â Mais les unions catholiques, respectueuses de lâenseignement de lâÃglise, notamment en ce qui concerne le droit de propriété, représenteraient le meilleur rempart de ses intérêts.
â Je me demande si le charmant vieux commerçant saurait faire toutes ces nuances.
â Mais vous, vous le pouvez. Pourquoi ne pas les lui expliquer?
Lâidée de se transformer en propagandiste des organisations confessionnelles accentua encore lâamusement du jeune homme. Heureusement, une voix venue des allées de quilles lui évita de répondre.
â Patron, si vous voulez avoir le plaisir de vous faire battre, câest notre tour.
Melançon désignait du doigt lâespace devenu libre.
â Je mâexcuse, je dois y allerâ¦
â Vous faites bien dâentretenir de si bonnes relations avec les employés de votre père. Vous comprenez visiblement les méthodes modernes de gestion.
â ⦠à la prochaine, lâabbé.
Un moment plus tard, Ãdouard glissait ses doigts dans les trous dâune grosse boule noire.
â Si ce gars-là se rendait en Afrique, en un an, tous les Nègres seraient convertis, prononça-t-il en regardant Maxime Fortin, déjà en grande conversation avec un groupe de jeunes femmes.
â Je parierais pour six mois!
Le contremaître lança sa boule et abattit toutes les quilles. La bataille serait rude, son adversaire décida de se concentrer sur son jeu. Câétait sans compter sur la présence de Clémentine. Elle se glissa près de lui pour sâenquérir :
â Tu as discuté longuement avec le jeune prêtre. Que te voulait-il?
â ⦠Curieusement, il mâa entretenu de lâadministration de lâentreprise de mon père.
Tout à fait exacte, la réponse troubla un peu la jeune femme. Elle poursuivit :
â Je le trouve très sympathique.
â Pour un curé, tu as tout à fait raison. à côté de lui, Ãmile Buteau ressemble à un ogre.
â Jâessaie toujours de me confesser à lui, depuis quelques mois. Il comprendâ¦
Ãdouard devina tout de suite que le propagandiste de lâaction sociale catholique du diocèse de Québec connaissait dans le détail les motifs de sa présence en ces lieux. Si lâun des membres dâun couple illicite confiait ses turpitudes à un prêtre, lâautre se trouvait tout autant exposé. Bonne catholique, Clémentine choisissait dâignorer les invitations de son compagnon à la discrétion au moment de demander le pardon de ses fautes. La compréhension dont parlait celle-ci tenait au simple fait que le jeune ecclésiastique ne proposait pas de la lapider sur le parvis de lâéglise Saint-Roch. Vraisemblablement, il nâexigeait même pas quâelle cesse tout à fait de voir son amant, sous peine de lui refuser les sacrements. Sans doute lâincitait-il à rechercher le mariage, afin de lui permettre de redevenir une blanche brebis dans le petit troupeau paroissial.
Cette sollicitude plaidait en faveur du confesseur. Elle contenait aussi une menace potentielle. Le jeune héritier se découvrait une nouvelle raison de chanter les louanges du syndicalisme confessionnel dans les oreilles de son père. Le prêtre de choc possédait un levier redoutable sur sa vieâ¦
* * *
Finalement, Melançon lâemporta sans trop de mal. Ãdouard afficha son indifférence, quoiquâil pestât intérieurement contre lâabbé Fortin, responsable de son manque de concentration. Le petit
Weitere Kostenlose Bücher