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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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ecclésiastique aimable prenait à ses yeux l’allure d’un méchant inquisiteur. Pour mettre fin aux railleries de son contremaître, le jeune homme décida de rentrer plus tôt à l’appartement de la rue Saint-Anselme pour un petit souper en tête-à-tête.
    Au moment de regagner la sortie du Cercle Frontenac, un attroupement retint son attention. Des gens se pressaient près de la porte d’une petite salle de réunion. Une voix haletante leur parvint de l’intérieur.
    â€” Je vous l’affirme, un nuage jaune verdâtre roulait sur le sol, pas plus haut que les genoux.
    â€” Dans ce cas, cela ne pouvait vous atteindre.
    Clémentine joua des coudes afin de voir qui parlait ainsi. La jolie blonde arriva sans s’attirer trop de gros mots près de l’embrasure de la porte. Son compagnon, plus grand, profitait d’une vue imparfaite sur un petit homme sanglé dans un uniforme kaki élimé. Tout le côté gauche de son visage offrait de vilaines boursouflures violettes. L’oreille paraissait totalement obstruée par une excroissance de chair.
    â€” Même si cela restait à cette hauteur, l’effet des vapeurs se faisait sentir dans les yeux, le nez, la bouche. À la première respiration, les hommes s’écrasaient. La minute d’après, ils crachaient leurs poumons.
    â€” … C’est impossible, articula Clémentine.
    L’homme posa les yeux sur elle. Son rictus tordit un peu le côté gauche de son visage.
    â€” Je t’assure, ma belle, qu’ils vomissaient leurs poumons. Dans une grande toux rauque. On voyait d’abord du sang, puis des lambeaux de chair. Les plus chanceux crevaient bien vite.
    â€” Les journaux en ont parlé, fit valoir quelqu’un. Le gaz moutarde…
    â€” Exactement, grommela le vétéran. À cause de la couleur, mais aussi de l’odeur, ils appelaient cela le gaz moutarde. D’autres parlent d’ypérite, pour rappeler la ville d’Ypres. C’est arrivé là-bas.
    â€” Où ça?
    â€” À Ypres, une jolie petite ville de l’ouest de la Belgique. Maintenant, il n’en reste rien.
    Ã‰douard tendit le bras entre les spectateurs fascinés jusqu’à toucher l’épaule de Clémentine. Celle-ci se tourna à demi, vit dans les yeux de son compagnon l’invitation à partir, esquissa un petit geste d’agacement du bout des doigts, puis reporta son attention vers le blessé pour demander :
    â€” Votre visage?…
    L’autre la contempla un moment, bien certain que plus jamais une aussi jolie bouche ne se poserait sur la sienne, puis murmura :
    â€” Le gaz, du chlore, brûle la peau humide. Cela fait d’énormes cloques. Après la cicatrisation… Tu vois le résultat.
    De défi, il tourna la tête pour mieux lui montrer la chair malsaine. Toutefois, mieux valait revenir aux aspects militaires de ces événements.
    â€” Comme le gaz flotte à la surface du sol, il se glisse dans les tranchées, dans les trous d’obus. Les gars s’y précipitaient pour éviter les balles allemandes et crevaient, la gueule en sang.
    â€” Vous avez gagné la bataille quand même?
    â€” Les Français se sont sauvés comme des lapins. Nous, je veux dire les Canadiens, on s’est accroché et on a tenu jusqu’à la bataille de Saint-Julien.
    Cette résistance, se rappelait Édouard, avait valu au premier ministre Borden une avalanche de télégrammes de félicitations pour la bravoure de son contingent. Comme si le politicien y était pour quelque chose!
    â€” Comment avez-vous réussi à vous en tirer?
    Le vétéran marqua une hésitation et échangea un nouveau regard avec Clémentine.
    â€” Comment avez-vous fait? insista un autre.
    â€” … J’ai pissé dans mon mouchoir et je l’ai collé sur ma bouche.
    Une nouvelle quinte de toux souligna cet aveu. Depuis cette bataille, les armées alliées fournissaient des uniformes mieux ajustés et des masques grossiers, affectant la forme d’une cagoule, aux hommes postés sur la ligne de front. L’urine gardait toutefois une certaine popularité, comme protection supplémentaire.
    â€” Pourquoi êtes-vous allé là-bas?
    La question, chargée d’ironie, trahissait l’opinion de l’interlocuteur :

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