Le prix du secret
d’un gros coussin rouge sur un banc, près de la porte. Il me l’offrit.
— Vous en aurez besoin, madame. Cette banquette de chêne est très dure. Non, non, je m’occupe de votre maîtresse ! dit-il à Dale en la renvoyant d’un geste. Si vous vouliez vous lever juste un instant…
Je m’exécutai et il dit : « En le plaçant ainsi… » d’un ton qui m’obligea à me retourner afin de voir ce qu’il faisait. Pendant un instant, nous fûmes donc face à la banquette, le dos tourné à l’assistance, mon vertugadin effleurant sa hanche. D’une main, il mit le coussin en place tandis que de l’autre, masquée par ma jupe large, il glissa un morceau de papier plié entre mes doigts.
— Juste avant de rentrer, dit-il tout bas comme je me rasseyais, j’ai rencontré le jeune garçon de l’auberge de Saint-Marc qui traversait le pont. Je le connais de vue. Il avait un message pour vous. J’ai dit que je vous le remettrais et il était trop intimidé pour refuser, mais il m’a supplié de vous le donner discrètement. J’ai promis, et je tiens parole. Sans poser de question.
Henri me contempla d’un air grave.
— J’espère qu’il ne s’agit pas de politique. Si vous avez besoin de conseils, je me ferai un plaisir de vous aider.
Je regardai la lettre et sentis mes entrailles se nouer, le sang affluer à mes joues. J’essayai d’empêcher ma voix de trembler en le rassurant :
— Cela n’a rien à voir avec la politique. Cette lettre m’est adressée par… un admirateur.
— Oh ! C’est donc de là que vient le vent ! J’aurais dû m’en douter. Nos gentilshommes français ne sont pas timorés et vous êtes à la fois charmante et sans attache. Si je n’étais déjà marié, je regretterais qu’un autre m’ait pris de vitesse.
— Quel charmant compliment !
J’essayai de sourire avec grâce, mais, en mon for intérieur, j’étais en proie au tumulte.
Car l’écriture sur la lettre, tel le tranchant d’une épée, me coupait de la guerre civile, de l’étrange comportement de Luke Blanchard et de ma mission. Je savais qu’ils existaient, mais ils m’étaient devenus indifférents. Je ne voyais plus que mon nom, tracé de cette écriture familière.
Le message était adressé, avec sagesse, à dame Blanchard et provenait de mon époux, Matthew de la Roche.
CHAPITRE VII
Rendez-vous
— Au Cheval d’or, madame ? s’étonna Brockley. Vous souhaitez que je vous escorte là-bas, sans messire Ryder ni les frères Dodd ?
— Cet endroit terrifiant ! se récria Dale. Je pensais ne plus jamais le revoir. Que trouvez-vous à redire contre l’endroit où nous sommes, madame ?
— Quant à cela, quantité de choses ! rétorqua Brockley. Une abbaye est bien le dernier lieu où se trouver en ces temps de dissensions religieuses. Si messire Blanchard avait décidé de céder au caprice de la demoiselle, c’eût été son affaire, mais que vous insistiez pour qu’elle revoie ses anciennes amies, après avoir répété qu’il fallait gagner Paris sans retard… ! Et proposer de l’y conduire sans messire Blanchard… Ma foi, je n’y ai rien compris. Et maintenant, ceci ! Ceci, pour couronner le tout !
— Si vous vouliez bien me laisser finir, vous comprendriez peut-être, ripostai-je.
À Douceaix, j’avais affirmé que je ne voyais aucune raison de priver Hélène d’une dernière visite à l’abbaye. Il n’y avait pas de troubles dans le voisinage immédiat, et j’avais fait valoir à Luke Blanchard que je souhaitais conquérir l’amitié de sa pupille. Je l’avais en outre encouragé à rester, « pour vous assurer que vous êtes tout à fait rétabli, cher beau-père, avant que nous ne reprenions la route ».
Ainsi, nous étions les hôtes de l’abbaye de Saint-Marc : moi-même, les Brockley, Hélène et Jeanne ainsi que Ryder et les Dodd.
Mon désir de retourner en ces lieux n’avait rien à voir avec Hélène, qui n’était qu’un prétexte ; et, maintenant que nous y étions, ma volonté de me rendre au Cheval d’or n’avait rien à voir non plus avec le confort ou la sécurité. Je regardai mes deux serviteurs, exaspérée. Ils étaient loyaux et courageux, mais, de temps en temps, j’aurais voulu les secouer pour leur faire passer cette fâcheuse habitude de me prendre pour une écervelée.
Certes, il m’arrivait de plaindre Dale. Elle aurait dû se marier plus jeune et fonder un foyer, où elle se serait
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