Le prix du secret
hommes viendraient à Paris avec nous, puis, de là, descendraient la Seine en bateau.
— Je ne crois pas que les Lions me retrouvent, à supposer qu’ils me suivent à travers la France. J’ai bien dissimulé mes traces, assura le marchand à mon beau-père, qui accepta une fois encore, quoique toujours sceptique.
Cette scène se passa devant John Ryder, qui écouta avec un amusement visible. Une fois en route, il me confia que messire Blanchard ne voulait pas passer pour un couard aux yeux de l’intrépide Jenkinson.
— Mais, à mon avis, il tremble dans ses bottes.
— N’y a-t-il pas de quoi ? demandai-je. Je suis reconnaissante envers messire Jenkinson et heureuse de l’aider, néanmoins lui savoir de tels ennemis me rend nerveuse.
— Et moi, c’est ce pays qui m’effraie, répliqua Ryder avec franchise. Les Lions sont le cadet de nos soucis ! Après Paris, nous aurons trois hommes de moins. J’ai recommandé à messire Blanchard de retourner en Angleterre par le chemin le plus court, sans reprendre Le Pinson. Si vous voulez savoir, madame, j’ai déjà dit aux Dodd d’aller à Nantes dès que Dick en aura la force, et de ne pas se soucier de nous.
Brockley, qui avançait juste derrière, l’approuva avec vigueur. Mieux valait faire diligence.
J’étais bien d’accord avec eux, sentiment qui se renforça d’heure en heure. La chevauchée vers Paris, longue de plusieurs jours, reste un des voyages les plus pénibles que j’aie jamais entrepris.
Pâques vint alors que nous étions sur les routes et nous n’y songeâmes même pas. Pour commencer, des tensions se faisaient sentir au sein du groupe. Il devint vite clair que, Jenkinson et ses deux compagnons ayant pris le parti de Matthew à l’auberge, les autres les considéraient tels des intrus. Searle, en particulier, refusait de leur parler et m’adressait à peine la parole. De mon côté, en dehors de John Ryder, si paternel et avisé qu’on ne pouvait s’empêcher de l’aimer, et du joyeux Mark Sweetapple, je me défiais de mon escorte. Pour ce qui était de mon beau-père, je supportais avec difficulté sa compagnie tout en admettant la nécessité d’une trêve.
Quant à Hélène, elle me détestait et je le lui rendais bien, quoique j’eusse conscience de sa jeunesse et de son affliction. J’étais soulagée que Jeanne eût accepté de venir jusqu’à Paris. C’était une femme sensée, sincèrement attachée à sa maîtresse.
Avant de quitter l’abbaye, Dale avait demandé à Jeanne un peu de fil blanc, pour voir ce qui en résulterait. Cette dernière lui en avait aussitôt fourni, lui proposant une aiguille. Le fait était déjà assez intéressant ; sur la route, Jeanne s’arrangea pour se trouver à côté de moi et me présenta ses excuses pour le comportement de sa jeune maîtresse.
— Elle m’a raconté qu’elle avait fouillé dans vos affaires, sous prétexte de chercher du fil. Elle me dit presque tout, ma petite Hélène. Je m’en occupe depuis de nombreuses années. Je l’ai même suivie à l’abbaye. Je lui ai servi de mère. Ce qu’elle a fait n’est pas bien et je le lui ai dit. Elle a été poussée par une curiosité juvénile, un désir d’en savoir plus sur vous, madame, et je crains qu’elle n’ait inventé de sottes explications pour ce qu’elle a trouvé. Cette petite est d’une foi passionnée. Elle souhaiterait être nonne ou, à défaut, martyre, ajouta-t-elle avec un léger amusement. Je lui dis que je préférerais la voir mariée à un gentilhomme.
Elle faisait de son mieux pour arrondir les angles, mais notre hostilité était trop profonde. Je m’acquitterais de mon devoir envers Hélène, puis je me réjouirais de ne plus la revoir.
Anthony Jenkinson me parla beaucoup, au cours de ce voyage, et fut un compagnon plus plaisant que les autres, en dépit de sa curiosité. Il avait appris quelques détails sur mon remariage et compris qu’on avait tendu un piège à Matthew, mais certains points l’intriguaient.
— Messire Blanchard dit que de la Roche est recherché en Angleterre pour trahison. Pourtant, vous étiez auprès de lui l’autre nuit, n’est-ce pas ? Et maintenant, vous repartez seule, sous le nom de Blanchard.
Comme toujours, je restai discrète sur mon travail pour Cecil. J’expliquai toutefois que, veuve depuis peu, j’avais épousé Matthew en Angleterre, puis m’en étais séparée en apprenant qu’il était impliqué dans un complot
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