Le prix du secret
abstenez-vous donc de toucher aux affaires d’autrui et de lancer des accusations ridicules. Compris ?
Hélène nous fixait, éberluée. On eût dit que nous venions d’ouvrir une fenêtre qui lui montrait une vue complètement inattendue de son propre monde. Elle ne parvenait pas à lui donner un sens. On lui avait trop bien fait la leçon. Elle ne pouvait que répéter les platitudes religieuses dont elle avait été nourrie.
— Comment vous croirais-je ? La vraie foi est à la portée de tous, il est vil de le nier ! Il vous suffit de l’accepter ; point n’est besoin de poison. Le bûcher ne sert qu’à sauver l’âme de ceux qui abandonnent Dieu et à remettre les égarés sur le droit chemin.
— Hélène, dis-je en rendant la fiole à Dale, j’ai le devoir de veiller sur vous. Toutefois, je crains fort de perdre patience si je vous entends encore employer ce ton sentencieux et supérieur. Je suis à deux doigts de m’emporter. Sortez d’ici. Allez dans votre chambre et dites à Jeanne de préparer vos bagages. Nous partirons pour Douceaix juste après le dîner. Et ne touchez plus à rien sans notre permission, sans quoi vous le regretterez.
Elle vit à mon expression que je le pensais et se sauva bien vite. Je m’assis au bord de mon lit, tremblante.
— Encore un peu, Dale, et je crois que je perdrai l’esprit.
Tout en rangeant le flacon dans sa sacoche de selle, elle observa :
— Ce ne peut être elle qui a fouillé nos affaires la première fois, madame. Elle n’était pas encore là. À moins ?…
— À moins que les deux actes soient liés ? La même personne en aurait donné l’ordre ?
— Je le pense, mais je n’en suis pas sûre… Tout est très confus.
— Là-dessus, vous avez raison. Eh bien, vous pourriez déjà apprendre par Jeanne si oui ou non elle a du fil blanc. Mais même dans ce cas… Oh, je m’y perds, moi aussi ! Partons d’ici, allons à Paris, puis rentrons vite chez nous !
Nous nous mîmes en route après le dîner, quoique avec moins de célérité que je l’eusse souhaité, car Hélène prolongea ses adieux à ses amies et nous fit attendre une demi-heure dans la cour. Ces effusions se conclurent par une dernière embrassade avec l’abbesse, sur le perron. Wilkins ne parut pas, à mon vif soulagement.
Dick Dodd avait été soigné à l’infirmerie et, malgré son bras en attelle, affirma qu’il pouvait chevaucher en tenant les rênes d’une main. Walter se posta à côté de son frère pour le protéger. Ils conservaient envers moi leur courtoisie habituelle, mais Searle me lançait des regards maussades comme s’il m’imputait leur défaite nocturne et leur réclusion dans la cave de Charpentier.
Notre petit groupe se trouvait augmenté de trois personnes, car j’avais accepté qu’Anthony Jenkinson nous accompagne à Douceaix avec Stephen Longman et Richard Deacon.
Il était habillé avec simplicité, d’une veste en peau de buffle usée, au col fripé. Elle ne lui allait guère mieux que ses hauts-de-chausses, empruntés, je crois, à Longman. En dépit de sa carrure imposante, il flottait dans ses vêtements. Cet effet négligé était voulu et lui donnait l’air étonnamment ordinaire. Il pourrait passer pour simple domestique, après tout.
À mi-chemin, nous rencontrâmes Luke et Henri Blanchard, accompagnés par un groupe incluant William Harvey et Mark Sweetapple, qui venaient nous chercher.
Je saluai mon beau-père avec froideur. Après avoir discuté davantage avec Brockley, me fiant à son bon sens, j’avais résolu de ne pas aborder le sujet de sa prétendue maladie et du rôle qu’il avait joué dans les plans de Cecil. Matthew était sauf et le mystérieux comportement de Blanchard était élucidé.
Selon Brockley, les deux fouilles de nos affaires n’avaient pas forcément de lien. La première avait pu être le fait des hommes de Cecil, cherchant un signe que j’étais en relation avec Matthew. Peu importait. Il me suffisait d’accomplir ma mission et de rentrer en Angleterre, après quoi je n’aurais plus rien à faire avec Blanchard ni Hélène. Ils sortiraient de ma vie, et c’en serait fini. Sans doute mon beau-père avait-il subi des pressions de la part de Cecil. Je me mettais à sa place ! Sans aller jusqu’à feindre une chaleureuse cordialité, je me montrerais polie et j’en resterais là.
Par bonheur, nous avions d’autres sujets de discussion. Blanchard avait reçu le message
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