Le prix du secret
le taquina Jenkinson. N’avez-vous pas prêté attention au temps ?
CHAPITRE XIV
La chevauchée
La plupart des marins se targuent de pouvoir prévoir le temps et ne sont pas plus doués que le commun des mortels. Cependant, quelques vieux loups de mer savent à quels signes se fier. Toute une vie passée à les observer et à en dépendre produit ses effets. Lorsque quatre marins expérimentés sur six affirment la même chose, mieux vaut les écouter.
Harvey et Sweetapple, chaudement vêtus pour se protéger du vent et de la pluie, descendirent sur le quai poser des questions. Ils revinrent nous rendre leur rapport : aucun navire ne quittait son mouillage ce jour-là. Le consensus, parmi les marins qu’ils avaient consultés, était que le temps ne s’améliorerait pas avant deux jours, voire davantage. Si le vent diminuait un peu, nous pourrions gagner l’embouchure de la Seine, mais il n’était pas dit que nous pourrions prendre la mer.
— Oh, non ! se désola mon beau-père, pris de désespoir. Je n’ai jamais autant voulu partir ! Combien de temps resterons-nous bloqués ici ?
— Qui sait ? répondit Jenkinson, philosophe. Même si le temps s’améliore demain, nous n’aurons aucune garantie de trouver des vents favorables à l’embouchure de la Seine. Que ce soit vers l’Angleterre ou vers Anvers, le voyage risque d’être long. La mer, c’est comme ça. Le même trajet peut prendre deux jours ou deux semaines, selon le caprice des éléments.
— Je me trompais en disant que vous devriez vous prénommer Daniel, remarquai-je. Jérémie vous conviendrait mieux !
— Je ne suis pas un prophète de malheur, mais un homme lucide, répliqua Jenkinson d’un ton ferme. En outre, j’ai une suggestion à vous soumettre. On ne peut se rendre en Angleterre sans navire, c’est évident. On peut toutefois atteindre Anvers par voie terrestre. Donc, dame Blanchard veut aller à Anvers ; messire Blanchard ressent l’envie de quitter la France, sentiment que je partage à l’heure actuelle. Je ne vais certes pas moisir ici alors que les Lions sont lâchés ! Il y a bien huit cents lieues jusqu’à Anvers, mais cette distance peut être franchie en une semaine, pour peu que l’on chevauche ventre à terre en changeant souvent de monture. Ainsi, on peut compter y arriver en un délai raisonnable. Le temps que nous parvenions à Anvers, ceux d’entre nous qui voudront continuer aussitôt vers l’Angleterre le pourront. Les navires ne manquent pas, là-bas.
— Vous proposez que nous allions tous à Anvers, et embarquions de là ? résuma mon beau-père. Sauf dame Blanchard, qui devra bien sûr revenir en France ?
— Tout juste. Je suis déjà venu à Saint-Germain et à Paris. Je sais qui nous louera de bons chevaux. Nous pourrions partir dès aujourd’hui.
Nous suivîmes son conseil. Jenkinson prit les dispositions nécessaires, tandis que ceux d’entre nous qui avaient leurs affaires au palais retournaient les chercher. Jeanne nous attendait en brodant. Hélène, nous apprit-elle, était allée à la chapelle prier pour Dale.
— Je l’ai accompagnée et j’ai dit que je reviendrais une heure plus tard, c’est-à-dire dans dix minutes. J’y vais tout de suite.
Je fus contrariée à l’idée du temps perdu, mais Jeanne revint peu après avec Hélène, qui s’excusa gentiment de nous avoir retardés. Elle gâcha bien vite cette bonne impression. Sa mine s’allongea quand je lui annonçai que les malles et l’essentiel de leur contenu resteraient avec Brockley et Ryder, et seraient convoyés vers l’Angleterre après mon retour d’Anvers.
— Nous ne pouvons prendre d’animaux de bât, expliquai-je. Nous n’emportons que nos sacoches de selle et des sacs accrochés à nos épaules. Nous en avons acheté en chemin. Voici le vôtre. Inutile de prendre cet air maussade. Maintenant, hâtez-vous de choisir ce dont vous avez un réel besoin.
Hélène m’obéit avec une réticence manifeste. Tout en remplissant mon sac de vêtements et de linge, je me demandai où était Brockley, mais il apparut avant que j’eusse fini. Il avait vu Dale dans sa nouvelle geôle.
— Celle-ci se trouve au niveau du sol, madame. Il y entre un peu de jour, et on lui a donné une paillasse convenable. Elle est plus calme.
Nous lui apprîmes que nous partions sur-le-champ, à cheval.
— J’espère que cela ne nous prendra pas trop longtemps. Le bail signé pour cet entrepôt
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