Le quatrième cavalier
soupçonneux.
— Que Dieu nous avait envoyé la paix.
Il éclata de rire à cette moquerie.
— Guthrum est à Gleawecestre, à une demi-journée de
marche de notre frontière. Et l’on raconte que des navires danois arrivent
chaque jour. Ils sont à Lundene, à Humber et dans le Gewaesc. D’autres navires,
encore plus d’hommes, et voilà qu’Alfred bâtit des églises ! Et puis il y
a ce Svein.
— Svein ?
— Il est venu d’Irlande avec ses navires. Il est en
pays de Galles, à présent, mais il n’y restera point, n’est-ce pas ? Il
viendra en Wessex. Et l’on dit que d’autres Danes d’Irlande le rejoignent. (Il
rumina ces mauvaises nouvelles. J’ignore si elles étaient vraies, car de telles
rumeurs étaient courantes, mais lui y croyait.) Nous devrions marcher sur
Gleawecestre et les massacrer tous avant qu’ils ne nous massacrent, mais nous
avons un royaume dirigé par des prêtres.
C’était vrai, tout comme il était certain que Wulfhere ne me
laisserait pas voir Ragnar.
— Donneras-tu un message à Ragnar ? demandai-je.
— Comment ? Je ne parle point danois. Je pourrais
demander au prêtre, mais il parlera à Alfred.
— Est-il avec une femme ?
— Comme tous les autres.
— Une fille maigre, aux cheveux noirs et au visage de
faucon ?
— Il me semble. Avec un chien ?
— Oui. Il s’appelle Nihtgenga.
Il haussa les épaules : peu lui importait le nom de l’animal.
Puis il comprit ce que cela signifiait.
— Un nom anglais ? Une Dane qui appelle son chien « Gobelin » ?
— Elle n’est point dane. Elle se nomme Brida et est
saxonne.
— La petite garce ! Quelle rusée ! Elle nous
a écoutés, n’est-ce pas ?
Brida était en vérité rusée. Cette Estangle, ma première
maîtresse, avait été élevée par le père de Ragnar et couchait maintenant avec
son fils.
— Parle-lui, et salue-la de ma part. Dis-lui que si la
guerre survient…
Je marquai une pause, hésitant. Ce n’était pas la peine de
promettre que je m’efforcerais de sauver Ragnar, car en cas de guerre les
otages seraient exécutés bien avant que je ne puisse arriver.
— Si la guerre survient ? me pressa Wulfhere.
— Si la guerre survient, repris-je, répétant les
paroles qu’il m’avait dites avant ma pénitence, nous chercherons tous à rester
en vie.
Il me dévisagea longuement et son silence me fit comprendre
que je venais de faire passer un message à Wulfhere et non à Ragnar. Il but une
gorgée d’ale.
— La drôlesse parle donc anglais, n’est-ce pas ?
— Elle est saxonne.
Tout comme moi, qui voulais retrouver Ragnar dès que
possible, si je le pouvais, et peu importait Mildrith – du moins le croyais-je.
Mais très loin sous la terre, où le serpent Faucheur-de-Cadavres ronge les
racines d’Yggdrasil, l’arbre de vie, siègent les trois fileuses qui décident de
notre destin. Nous avons beau croire que nous décidons, en vérité nos vies
reposent entre leurs mains. Elles filent nos existences, et la destinée est
tout. Les Danes le savent, et même les chrétiens. Wyrd bið ful årœd, disons-nous,
nous autres Saxons : la destinée est inexorable et les fileuses avaient
décidé de la mienne, car, une semaine après la réunion du witan, lorsque
Exanceaster fut de nouveau calme, on m’envoya un navire.
Un serf accourut depuis les champs d’Oxton en disant qu’un
navire dane se trouvait dans l’estuaire de l’Uisc. J’enfilai bottes et cotte de
mailles, empoignai mes épées, criai qu’on me selle un cheval et galopai jusqu’au
rivage où pourrissait l’ Heahengel.
Se dressant au-dessus de la longue langue de sable qui
protège l’Uisc du large, un autre navire approchait. Sa voile était repliée et
les avirons ruisselants battaient la mer comme des ailes, tandis que la longue
coque traçait un sillage argenté sous le soleil levant. À la haute proue se
tenait un homme en cotte de mailles, avec casque et épée. Derrière moi, là où
les pêcheurs vivaient dans des cabanes près de la vase, les gens se hâtaient
vers les collines en emportant ce qu’ils pouvaient.
— Il n’est point dane ! criai-je à l’un d’eux.
— Seigneur ?
— C’est un navire saxon de l’Ouest !
Sans me croire, tous continuèrent de fuir avec leur bétail, comme
depuis toujours. Dès qu’ils voyaient un navire, ils fuyaient, car les navires
apportaient les Danes, et les Danes la mort ; mais celui-ci ne portait ni
dragon, ni
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