Le quatrième cavalier
embarquâmes tonneaux d’ale, caisses
de biscuits, fromages, tonneaux de maquereau fumé et lard. Je racontai à
Mildrith le même mensonge : nous allions longer les côtes entre le
Defnascir et Thornsæta.
— C’est d’ailleurs ce que nous ferions si des Danes
arrivaient, dit Leofric.
— Les Danes se tiennent cois.
— Et c’est le signe que des ennuis ne vont pas tarder, opina-t-il.
Il avait raison. Après tout, les Danes gouvernaient les
trois autres royaumes angles. Ils détenaient ma Northumbrie natale et
implantaient des colons en Estanglie ; leur langue se répandait au sud par
la Mercie, et ils n’avaient pas envie d’avoir au sud le dernier royaume angle. Ils
étaient tels des loups qui rôdent et attendent qu’un troupeau de moutons soit
bien gras.
Je recrutai onze jeunes gens de ma terre et les menai à bord
del’ Eftwyrd, avec Haesten ; il me fut utile, car il avait
passé presque toute sa jeunesse aux rames. Puis, un matin brumeux, alors qu’une
forte marée descendait vers l’ouest, nous quittâmes le rivage et gagnâmes le
large. Les rames grinçaient, la proue fendait les flots, drapant la coque d’écume
blanche, et le gouvernail résistait sous ma poigne. Je sentis mon cœur se soulever
dans la brise et je levai les yeux vers le Ciel couleur de perle pour remercier
Thor, Odin, Njord et Hoder.
Quelques petits bateaux de pêche voguaient çà et là dans les
eaux intérieures, mais lorsque nous mîmes cap au sud-ouest, la mer était
déserte. Les collines d’un vert étincelant au bord des rivières laissèrent la
place à un horizon gris, puis la terre ne fut plus qu’une ombre, et nous
restâmes seuls avec les piaillements des mouettes. Alors, nous sortîmes nos
têtes de serpent et de fyrdraca de la cale pour les fixer à leurs
poteaux, avant de mettre le cap à l’ouest.
L’ Eftwyrd n’était plus. À présent, le Fyrdraca faisait voile… et cherchait noise.
3
L’équipage de l’ Eftwyrd devenu Fyrdraca avait
combattu avec moi à Cynuit. Ces guerriers étaient offensés qu’Odda le Jeune ait
recueilli les lauriers de la bataille que j’avais gagnée et s’ennuyaient depuis
lors. Leofric me raconta que Burgweard les laissait parfois s’entraîner en mer,
mais qu’ils restaient la majeure partie du temps à Hamtun.
— Mais on est sortis pêcher une fois, concéda-t-il.
— Pêcher ?
— Le père Willibald a prononcé un sermon où il
racontait que cinq mille personnes avaient été nourries avec deux morceaux de
pain et un panier de harengs. Alors, Burgweard a dit qu’il fallait sortir les
filets et aller pêcher. Il voulait nourrir la ville, tu vois. Ils ont tous faim.
— Et vous avez attrapé quelque chose ?
— Des maquereaux. En quantité.
— Mais point de Danes ?
— Point. Et point de harengs, seulement des maquereaux.
Ces misérable Danes ont disparu.
Nous apprîmes plus tard que Guthrum avait ordonné qu’aucun
navire dane ne rompe la trêve en pillant la côte du Wessex. Comme il fallait
faire croire à Alfred que la paix était venue, aucun pirate n’écumait les mers
entre le Kent et le Cornwalum, et leur absence encourageait les marchands à
venir dans le Sud vendre du vin ou acheter des peaux. Le Fyrdraca s’empara
de deux de ces bateaux les quatre premiers jours. Ils étaient tous les deux
francs, à la coque rebondie, avec seulement six rames de chaque côté. Ils
crurent que le Fyrdraca était un navire viking en voyant les figures de
proue et nos bracelets d’argent, et en m’entendant parler dane avec Haesten. Nous
épargnâmes les équipages, mais nous leur prîmes argent, armes et tout ce que
nous pûmes embarquer de marchandises.
Le soir, nous faisions halte dans une crique ou dans l’estuaire
d’une rivière, et le jour nous partions en mer à la recherche d’une proie. Chaque
jour, nous allions plus loin vers l’ouest, jusqu’à dépasser la côte du
Cornwalum. Je sus que nous étions sur les terres de cet ancien ennemi qu’avaient
affronté nos ancêtres venus par la mer du Nord envahir l’Anglie. Ces Bretons
parlaient un étrange langage et habitaient tantôt au nord de la Northumbrie, tantôt
en Galles ou dans le Cornwalum, des terres sauvages où nous les avions
repoussés. C’étaient des chrétiens. D’ailleurs, selon le père Beocca, ils l’étaient
depuis bien longtemps avant nous, et aucun chrétien ne pouvait être véritablement
l’ennemi d’un autre chrétien. Quoi qu’il en soit, les
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