Le quatrième cavalier
à présent ? questionna-t-il.
Je pensais qu’il demandait ce que nous allions faire de
notre vie, mais il contemplait le rivage où, dans le crépuscule, je vis s’aligner
des hommes armés en haut des falaises. Les Bretons de Dyfed étaient arrivés, mais
trop tard. Pourtant, leur présence signifiait que nous ne pouvions retourner
dans notre crique ; aussi ordonnai-je de mettre le cap à l’est. Les
Bretons nous suivirent le long du rivage. La femme qui avait fui dans la nuit
avait dû leur dire que nous étions des Saxons, et ils devaient prier pour que
nous cherchions un abri à terre afin de nous tuer. Peu de navires restaient en
mer durant la nuit, sauf s’ils y étaient contraints, mais je n’osai chercher un
refuge et nous nous éloignâmes du rivage alors que le soleil rouge luisait
entre les nuages et les embrasait comme si un dieu avait saigné dans les cieux.
— Que feras-tu de la fille ? me demanda Leofric.
— Freyja ?
— Est-ce son nom ? La veux-tu ?
— Non.
— Moi, si.
— Elle te dévorera tout cru, l’avertis-je.
Elle le dépassait d’une bonne tête.
— C’est ainsi que je les aime.
— Elle est à toi.
Nous avions perdu deux hommes et trois étaient blessés, mais
c’était peu cher payé. Après tout, nous avions tué vingt ou trente Danes, et
les survivants réfugiés sur le rivage ne seraient peut-être pas mieux traités
par les Bretons. Mais, mieux que tout, nous étions riches et ce fut une
consolation quand la nuit tomba.
Hoder est le dieu de la Nuit et je le priai. Je jetai à la
mer en offrande mon ancien casque, car nous avions tous peur des ténèbres qui
nous entouraient et que des nuages avaient envahi le Ciel. Ni lune ni étoiles. Je
restai sur le pont à scruter la nuit, Iseult blottie contre moi sous ma cape, et
je me rappelai son air ravi lorsque nous nous étions lancés dans la bataille.
L’aube fut grise, et la mer striée d’écume. Le vent était
froid et nulle terre n’était en vue, mais deux oiseaux blancs nous survolèrent.
Je les pris pour un signe et mis le cap vers l’endroit d’où ils venaient. Plus
tard dans la journée, sur une mer houleuse et sous une pluie glacée, nous vîmes
la terre. C’était de nouveau l’île des puffins, où nous pûmes jeter l’ancre et
allumer un feu à terre.
— Quand les Danes sauront ce que nous avons fait… commença
Leofric.
— Ils nous chercheront, achevai-je.
— Ils seront nombreux à le faire.
— Il est donc temps de rentrer.
Les dieux avaient été bons et le lendemain, sur une mer
calmée, nous ramâmes vers le sud en direction de la côte que nous suivîmes vers
l’ouest. Nous allions contourner le cap où nageaient les marsouins et retrouver
notre pays.
Bien plus tard, je découvris ce qu’avait fait Svein après
nous avoir quittés, car cela changea ma vie et exacerba le conflit entre Alfred
et moi. Je le raconterai ici.
Je pense que la perspective d’un autel fait d’or à Cynuit
lui avait rongé le cœur, car Svein emporta ce rêve jusqu’à Glwysing, où se
rassemblaient ses hommes.
Svein ordonna à un second vaisseau de l’accompagner et ils
attaquèrent Cynuit. Ils arrivèrent à l’aube, dissimulés par le brouillard, et j’imagine
leurs navires à tête de fauve surgissant comme monstres de cauchemar. Ils
remontèrent la rivière à force de rames, échouèrent les navires et débarquèrent,
en cotte de mailles et casque, des Danes à la lance et à l’épée, et trouvèrent
l’église et le monastère en chantier.
Les Danes brûlèrent tout et abattirent la grande croix de
bois désignant le monastère, que les ouvriers avaient élevée en premier.
Ces ouvriers étaient des moines, novices pour la plupart, et
Svein les rassembla en exigeant qu’ils lui montrent où étaient cachées les
richesses, promettant merci s’ils disaient la vérité. Ils s’exécutèrent. Il n’y
avait guère de biens de valeur, et point d’autel fait d’or, mais pour acheter
leur bois et leurs vivres les moines avaient une caisse de sous d’argent qui
fut suffisante pour les Danes. Après avoir abattu le peu qui avait été
construit puis égorgé quelques bêtes, Svein demanda où Ubba était enseveli et
nul ne répondit. Les épées furent dégainées, et la question posée à nouveau. Les
moines durent avouer que l’église était bâtie juste au-dessus de la sépulture
du chef défunt. En apprenant que l’ancien tumulus avait été aplani et le
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