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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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poussant des cris rauques. Était-ce aussi le repaire du meurtre ? Quelqu’un était-il monté avec Lanercost ? Quels événements s’étaient-ils vraiment déroulés ici ? M’appuyant de la main contre le mur, je me faufilai avec prudence jusqu’à la fenêtre par laquelle Lanercost avait dû tomber. J’inspectai avec soin le rebord glissant et pentu, mais n’y détectai rien de suspect. Je me penchai alors pour mieux imaginer la chute vertigineuse, d’abord sur le toit d’ardoise grise de la nef, puis jusqu’à la vaste cour, où le frère qui venait de passer en hâte avait l’air tout petit. Je me redressai et contemplai les grossiers murs nus en pierre de taille, les cloches si silencieuses, les recoins obstrués par des siècles de poussière. Je me remémorai la remarque d’Eusebius à propos de Theobald. Je ne découvris rien avant de revenir près de la fenêtre par laquelle Lanercost avait sans doute basculé. En haut du linteau de pierre lisse, j’aperçus des lettres écrites quelques années auparavant : « Theobald qui a tant aimé et tant perdu. » Je suivis des doigts l’inscription. Lanercost avait-il eu vent de cette histoire ? S’était-il senti si coupable à la mort de son frère qu’il était venu céans pour se tuer ? Mais Lanercost était un jeune guerrier endurci au service de Gaveston – alors était-ce un crime ? C’était pourtant un homme de guerre qui se serait défendu avec vigueur, et si le meurtre était l’explication, pourquoi alors avait-il emprunté l’échelle jusqu’à cette pièce exiguë et interdite ? Il est clair qu’il ne l’aurait pas fait en compagnie d’un ennemi. La racine du mystère se trouvait là.
    Un craquement me fit sursauter. Je me repris. C’est alors que je vis, horrifiée, les cloches se mettre en branle dans un léger va-et-vient. J’étais toujours près de la fenêtre d’où avait dû choir Lanercost. J’avais l’impression de rêver : les bourdons se balançaient tels des monstres tirés de leur sommeil. Ils oscillaient, plongeaient et montaient vers moi. Leur pourtour acéré ressemblait à de véritables dents. Je distinguai les lourds battants métalliques tout en prenant conscience que si je restais là, comme avait dû faire Lanercost, les cloches me feraient basculer dans le vide. Pourquoi bougeaient-elles ? C’était une heure que nul carillon n’aurait dû signaler. Je rasai le mur alors qu’elles commençaient à accélérer le rythme, le pesant métal rasant l’air de ses bords comme autant de lames acérées et mortelles. Elles ne vibraient pas à l’unisson mais en sens contraire. Je ne courais pas de danger si je restais calme et ne commettais aucune erreur. Je parvins près de l’ouverture et dégringolai l’échelle pour gagner l’étage inférieur.
    — Frère Eusebius ! hurlai-je.
    Le premier tintement, faible, se fit entendre, puis tout se tut. Je regardai les cordes qui, à travers la trappe, tombaient jusqu’au sol. Celui qui les tirait avait maintenant cessé. Hors d’haleine, je parvins en bas. L’air glacial du clocher avait refroidi la sueur sur ma grossière robe de laine. Je me revis un instant, enfant, descendant en trombe une échelle dans la ferme de mon père qui m’ordonnait d’être prudente ; il avait crié si fort que ma mère s’était précipitée hors de la maison, ses vêtements volant au vent. Je clignai des yeux. J’étais fiévreuse et agitée. Je sortis mon poignard de sa gaine cachée à ma ceinture sous mon manteau. Je regardai à gauche, à droite : personne. Les cordes bougeaient encore un peu. La porte donnant dans l’église était entrouverte. Je la franchis. Il y avait tant de sombres recoins dans la nef qu’une armée d’ennemis aurait pu s’y tapir sans être vue. J’ouvris la grande porte de l’édifice et m’avançai sous le porche. Les Aquilae Petri se tenaient en bas des marches, les yeux rivés sur moi.
    Je les interrogeai d’un ton accusateur :
    — Étiez-vous dans l’église ?
    J’observai les environs. Des frères vaquant à leurs devoirs traversaient la grande esplanade pavée. De hautes piles de légumes s’entassaient dans des brouettes ; une charrette remplie du fumier des écuries passa à grand bruit. Un frère lai, chantant une hymne d’une voix rauque, jetait des fougères dans les braseros. Personne ne cherchait à détaler. Je ne savais plus que penser, comme si tout n’était qu’un rêve, les horreurs de ce

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