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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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certaine importance ne sont pas loin. Il va nous conduire à leur rencontre par des sentiers dans la lande.
    Je fixai Oswyth : il avait cette grosse tête, cette chevelure et cette barbe hirsutes, ces yeux égarés, ces joues tannées par le vent… Je l’entendis parler dans le patois local – un mot mangeant l’autre –, qu’un clerc des écuries devait traduire pour le gouverneur et pour Lisbonne. Oswyth, un simple manant, donna une description précise du détachement royal avec ses drapeaux bleu, or et écarlate et leurs léopards grondant. Le monarque et son favori, une troupe d’archers gallois regroupée autour d’eux, marchaient à présent vers le nord. Je le croyais, moi aussi. La nouvelle devait être vraie : un vilain ne pouvait inventer ce genre de détails. Bertrand me serra le poignet.
    — Regardez sa figure, Mathilde, me glissa-t-il. Faites très attention.
    Oswyth se comportait comme un vrai paysan voulant impressionner ses supérieurs. Il avait des façons de rustre, gesticulant sans cesse, tapant des pieds, se grattant et grommelant. Il s’avançait de temps en temps pour parler au clerc des écuries. Ce ne fut que lorsqu’il bougea que je devins plus curieuse. Je l’observai de près. En dépit de ses cheveux et de sa barbe ébouriffés, je vis que c’était quelqu’un que je connaissais. Je le fixai, horrifiée ! Je reconnaissais Oswyth ! Ce n’était ni un paysan du Nord ni un laboureur illettré, mais Ausel, l’Irlandais, le mime, l’acteur accompli, l’incarnation de la justice divine, sa colère faite chair contre Lisbonne et ses serviteurs de Baal ! Ausel était venu pour conduire Alexandre de Lisbonne non auprès du roi mais en Enfer ! J’ouvris la bouche. Je voulais lancer un avertissement. Même si je haïssais les Noctales, il est pénible de voir des hommes se préparer de si bon gré, et pourtant sans le vouloir, à la malemort. Demontaigu me serra le poignet plus fort encore et me chuchota de me taire. Je ne pus que contempler le spectacle et m’émerveiller de l’adresse avec laquelle l’Irlandais jouait les croquants. Un templier de haut rang pouvait décrire avec précision le souverain, Gaveston et le cortège royal, mais pas un campagnard analphabète. Quel meilleur moyen de convaincre Lisbonne ? Il y était sans nul doute parvenu. Les Noctales avaient bien l’intention de nous quitter et le gouverneur ne pouvait que protester.
    — Que Dieu ait pitié d’eux tous, murmura Bertrand. Je ne peux ni ne veux rien faire pour empêcher cela.
    Les cloches de la chapelle sonnèrent pour nous appeler à la première messe alors que, oriflammes et gonfalons déployés, les Noctales, en une longue file de cavaliers, de poneys, de chiens jappant, franchissaient dans un martèlement de sabots le portail béant pour aller à la rencontre de leur Némésis dans ces terres noyées de brume. Il n’est point facile d’éluder la mort. Nous avons beau faire face, nous, possesseurs d’une âme, devons la laisser s’envoler quand le Seigneur l’exige. Lisbonne et ses diables étaient sur le point de rejoindre leur créateur. L’air matutinal sentait le trépas. Mon esprit commença à me jouer des tours, comme si je pouvais déjà ouïr les hurlements, le cliquetis des épées, le sifflement des flèches et l’écœurant bruit sourd de la hache qui s’abat et tranche. Lisbonne se hâtait vers l’Enfer ; son lit de mort se préparait.
    À mon retour je ne pus que glisser quelques mots à la reine qui se signa tout en priant. Demontaigu et moi assistâmes à l’office. Je ne communiai pas. J’en étais incapable. J’étais déchirée par la culpabilité, même si je n’y pouvais rien. Alexandre de Lisbonne se serait juste raillé de mes avertissements et, si j’avais trahi Ausel, le templier aurait subi une mort affreuse.
    Après la messe, Bertrand et moi nous assîmes sur un banc de bois dans l’arrière-cuisine pour déjeuner et attendre des nouvelles. Elles arrivèrent tard dans l’après-midi. Un survivant de la troupe de Lisbonne, encore équipé et tout ensanglanté, dont le corps n’était qu’une plaie ouverte, vint tambouriner à une poterne, plus mort que vif. On l’emporta à l’infirmerie du château et on me convoqua. Le survivant, un Parisien de naissance, était encore jeune mais manifestement la proie imminente de la mort. Il avait une blessure mortelle au ventre et je ne pus que le soulager et le réconforter. Il but avec avidité

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