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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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table.
    — Madame, trêve de mensonges, d’artifices. Vous avez rencontré Eusebius ; moi aussi. Un collectionneur de babels, ce carillonneur : une pièce, l’insigne d’un dévot, quelques marques de faveur…
    Je revis les multiples bagatelles qu’Eusebius gardait dans l’ossuaire.
    — Vous l’avez donc payé pour qu’il vous fournisse cette robe et ces sandales ?
    — Bien entendu.
    — Vous, un pèlerin impécunieux ?
    — Madame, c’est une partie de mon histoire.
    — Vous pouviez donc entrer et sortir du prieuré selon votre bon plaisir ?
    Il haussa les épaules.
    — Vous pourriez être un assassin.
    Il sourit en se renversant sur sa sellette.
    — Onc ne suis monté dans cette tour, murmura-t-il. Madame, j’ai le vertige.
    — Vous avez néanmoins bavardé avec Eusebius ? intervint Demontaigu.
    — Oui, je l’ai rencontré dans le charnier où il m’avait amené. Il m’a montré sa collection. Il s’est aussi vanté de n’avoir pas l’esprit aussi obtus que les autres le croyaient.
    — Peut-être connaissait-il le meurtrier ? remarquai-je à voix basse.
    — J’en conviens, admit le Pèlerin. Vous avez bien visité l’ossuaire, madame ?
    — En effet.
    — Après la mort de Lanercost, je suis allé voir Eusebius. D’une part il jouait les fols, les écervelés, les bouffons, d’autre part il proférait les remarques les plus acerbes sur sa communauté ou sur la Cour. Il a, pendant quelques instants, prétendu que les apparences étaient trompeuses. Il savait un peu de latin et pouvait réciter le Pater Noster et le Salve Regina. Puis il m’a interrogé sur la lumière et l’ombre.
    — La lumière et l’ombre ?
    — J’ai moi aussi été perplexe, mais, bien sûr, Eusebius vivait dans la liturgie de l’Église. Les cérémonies de la Semaine sainte l’impressionnaient par-dessus tout. J’ai fini par comprendre qu’il faisait allusion aux Ténèbres, le service du Jeudi saint, ce moment de la Cène où Judas s’en va pour trahir le Christ, et à la phrase tirée des Évangiles, tenebrae facta.
    Je traduisis :
    — Et les ténèbres furent.
    — Exact, exact. Eusebius évoquait la lumière et l’ombre. Il a tenu à ce que j’écrive les mots latins. Je les ai griffonnés sur un bout de parchemin, mais ce n’est pas ce qu’il voulait. Il m’a montré le plâtre du mur blanc et m’a remis un morceau de charbon. J’ai inscrit les termes lux et tenebrae – lumière et ombre. Il est resté assis quelques secondes à les regarder, puis il a grommelé : « Oui, c’est bien ça : noir et blanc, lumière et ombre. »
    — A-t-il fait allusion aux Beaumont ?
    — Il disait que c’étaient de grands seigneurs. Il se réjouissait d’avoir trouvé un de leurs boutons sur un bout de tissu, accroché à une épine dans la roseraie. Cela faisait partie de son ramassis.
    Je levai la main et contemplai le jardin baigné de lune. La silhouette que j’avais entrevue dans le charnier avait pris ce bouton dans le plat où Eusebius déposait ses trésors et l’avait laissé près de la trappe, tromperie délibérée.
    — Madame ?
    Je tournai les yeux vers le Pèlerin.
    — Aviez-vous des liens avec Lanercost et Leygrave ?
    — Non, non, mais ils sont venus céans…
    — Au Pot-au-feu  ? s’enquit Bertrand.
    — En effet, et pourquoi pas ? Bien loin de la Cour. Le tavernier m’a raconté qu’ils étaient fins soûls. Il ne les a pas approchés. Après tout, ces deux puissants courtisans avec leur épée et leur poignard pouvaient être dangereux.
    — Mais il a tendu l’oreille ?
    — Naturellement. C’est l’affaire d’un tavernier. Il écoute les confidences et les fait circuler, mais Lanercost et Leygrave parlaient vite en anglo-normand. L’hôte prétend qu’ils étaient, tous deux, fort courroucés, et pourtant tristes. Plus ils s’enivraient, plus ils étaient furieux. Il a saisi les mots « félonie » et « trahison » mais c’est tout. Ils ont beaucoup bu et sont partis en se soutenant l’un l’autre.
    Le Pèlerin fit une petite grimace.
    — Je vous ai dit la vérité, madame.
    — Pourquoi donc vouliez-vous me voir ?
    Il avala une gorgée de bière, reposa sa chope sur la table, regarda par la fenêtre, puis s’intéressa de nouveau à moi.
    — Je m’appelle le Pèlerin des Terres gâtées. Mon vrai nom est Walter de Rievaulx. Je suis né dans la région. Mon père, son père et son père avant lui, étaient

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