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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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vers elle.
    — Je regarde vos yeux, madame : ils sont transparents comme du verre. Vous savez, tout comme moi, qu’une conjuration, une incantation, ne peuvent rien guérir. Une prière au Seigneur ou à Sa sainte mère est efficace, mais vous comprenez, madame…
    Elle me fit un clin d’œil.
    — … nos malades l’ignorent ! Ils pensent que les charmes agissent. Avez-vous remarqué comment, si nos patients sont dans de bonnes dispositions d’esprit, ils se rétablissent plus vite ?
    Je me souviens que cela m’avait fait rire. Une autre fois elle fit une réflexion très étrange, qui retint mon attention. Je lui avais posé maintes questions ; c’était à son tour de m’interroger. Un matin, je descendis quérir de la mousse sèche mélangée à du lait caillé pour panser une coupure à la main. Je voulais la faire nettoyer pour éviter l’infection. La physicienne accepta avec joie de me rendre ce service. Nous nous installâmes au coin de la table et je remontai ma manche. Elle lava avec soin la blessure et appliqua l’onguent avec la lame plate d’un couteau purifiée à la flamme d’une chandelle. Je la remerciai et proposai de la payer. Elle me prit les doigts et me regarda en face.
    — Madame, chuchota-t-elle, la médecine a ses mystères, mais ils sont moins déroutants que les affaires des hommes. Pourquoi Sa Grâce le roi, dans toute sa sagesse, a-t-elle envoyé Lord Gaveston se réfugier ici ?
    — Ce château est fortifié, expliquai-je. Des bateaux peuvent s’ancrer dans la crique. Lord Gaveston est capable de soutenir un siège. Sinon, il peut toujours s’embarquer et fuir à l’étranger.
    Elle baissa la tête, rit sous cape, puis leva les yeux.
    — Mais comment le savaient-ils ?
    — Madame, l’implorai-je, ne jouez pas aux devinettes avec moi. Que voulez-vous dire ?
    — Voilà plus de soixante-dix ans que je vis ici, et je vous assure que pas une fois Sa Grâce le roi ne nous a rendu visite. Et Lord Gaveston pas davantage. Alors, pourquoi venir dans un château qu’ils n’ont jamais vu ? Je suis allée en ville. Les rumeurs grouillent comme les mouches sur un étron. Les grands barons approchent.
    Elle désigna la fenêtre.
    — Quant aux navires…
    Elle se mit à rire.
    — Madame, cette anse est un repaire de pirates, anglais, flamands, du Hainaut ou de France. En outre, si un bateau y mouillait, Dieu sait si on le laisserait repartir, et, s’il y parvenait, s’il serait en sécurité.
    Elle avait mis le doigt sur une difficulté qui me préoccupait. Pourquoi ici ? Pourquoi la forteresse de Scarborough ? Demontaigu, avec toute son expérience de soldat, était perplexe, de même que Lord Henry Beaumont qui pouvait – et ne s’en privait pas – dévider une litanie d’innombrables endroits moins dangereux pour le favori. La vieille dame se tapota le nez et me fit derechef un clin d’œil.
    — Sa Grâce le roi voudrait-elle que Lord Gaveston soit capturé ?
    Elle se mordit les lèvres.
    — J’en ai assez dit, madame. Bon, quant à cette plaie…
    Elle ne posa point d’autres questions, mais ses paroles reflétaient les ragots des cuisines, des resserres et du réfectoire. Dunheved, grand amateur de commérages, se promenant de-ci de-là en devisant avec ceux qu’il croisait, suggéra sa propre hypothèse.
    — Ce n’est peut-être pas pour le château, mais pour le port, énonça-t-il à mi-voix en souriant. Si Gaveston fuit à l’étranger, ce ne sera pas à bord d’un vaisseau royal, mais à bord d’un navire de pirate, d’une embarcation qui peut se glisser partout et l’emmener au loin sans péril et sans attirer l’attention des autres bateaux.
    Pourtant, en fin de compte, ce n’était là qu’un souci parmi bien d’autres. Par ailleurs Gaveston s’obstina à tenir ses Conseils secrets, mais ce n’était que bavardage. Nous ne pouvions qu’attendre. Les grands barons menaçaient de nous assiéger, pourtant Gaveston nous informa avec confiance que Sa Grâce le roi lèverait des troupes et prendrait l’ennemi en tenailles entre son armée et les murailles de la place forte. Nous devions nous montrer patients. C’était donc ce qu’espérait le favori. Il vivait dans un monde d’illusions. Nous n’avions de nouvelles ni du souverain ni de la reine. Pour me distraire, je travaillais aux cuisines, des lieux bruyants et animés aux poutres desquels pendaient des jambons, des saucisses, des volailles, du gibier à plume

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