Le retour

toutes les autres élections, tant fédérales
que provinciales, il s'était abstenu, persuadé que son bulletin de vote
n'allait rien changer aux résultats du scrutin. Ce refus obstiné de remplir ses
devoirs de citoyen ne l'empêchait nullement d'aimer parler de politique et
d'attendre avec une grande impatience le dépouillement du scrutin.
     
    Le temps maussade
ne changea en rien l'horaire qu'il avait adopté dès le lendemain de sa mise au
repos par le docteur Miron. Après le déjeuner, il fit une longue promenade dans
le quartier, s'arrêta quelques minutes au parc Frontenac et au parc Bellerive
avant de revenir finir la lecture de La Presse de la veille, confortablement
assis sur le balcon. Il écouta ensuite Les Joyeux troubadours à la radio et
dîna sans se presser. Il alla ensuite faire une longue sieste, ne se réveillant
qu'au milieu de l'après-midi, frais et dispos.
     
    Comme tous les
jours de la semaine, Laurette, éreintée, fut la dernière à rentrer de son
travail. À la vue de son mari en train de fumer paisiblement sur le pas de la
porte, en grande conversation avec Bernard Bélanger, elle eut
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    un accès de
mauvaise humeur. Elle salua les deux hommes de la tête, entra chez elle et
enleva ses souliers sans se pencher.
     
    La vaisselle
souillée du dîner traînait sur le comptoir de la cuisine, la nappe cirée
n'avait pas été lavée, une partie du journal était par terre, à côté de la
chaise berçante, une bouteille de Kik vide avait été laissée sur le rebord de
la fenêtre et le cendrier débordait de mégots. Dans la chambre à coucher, le
lit n'avait pas été fait et une chemise sale était accrochée à la poignée de la
porte. Il n'y avait personne dans la maison Laurette vit rouge et héla son mari
du fond de la cuisine.
     
    - Gérard!
     
    - Quoi? demanda
son mari, interrompu dans sa conversation avec l'éboueur.
     
    - J'ai affaire à
te parler, lui dit-elle sèchement.
     
    Elle entendit son
mari s'excuser auprès du voisin et rentrer dans la maison dont il referma la
porte derrière lui.
     
    - Qu'est-ce qu'il
y a? demanda-t-il sur un ton agacé.
     
    - D'abord, où est
passée Carole? A cette heure-ci, elle devrait être dans la maison.
     
    - Madame Wilson
lui a demandé d'aller lui faire une commission chez Tougas. Je lui ai dit
qu'elle pouvait y aller.
     
    - T'as eu une
maudite bonne idée! s'emporta sa femme en haussant le ton. Pendant ce temps-là,
qui est-ce qui est supposé préparer le souper? Toi, je suppose.
     
    - On mangera un
peu plus tard. C'est pas la fin du monde, dit Gérard, désinvolte.
     
    - Bout de viarge!
Ça va faire, hurla sa femme, à bout de patience. Je me crève à travailler toute
la sainte journée et quand je reviens de l'ouvrage, je trouve la maison à
l'envers.
     
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    - Qu'est-ce qu'il
y a à l'envers? demanda Gérard, étonné.
     
    - Ouvre-toi les
yeux, bonyeu! Tout traîne dans la chambre et dans la cuisine. Il y a tout de
même des limites à ambitionner sur le monde, Gérard Morin! Je veux ben croire
que le docteur t'a dit de pas te fatiguer, mais tu peux au moins laver ta
vaisselle le midi, ramasser tes traîneries et refaire ton lit quand tu te lèves
après ton somme de l'après-midi. Je suis pas ton esclave, tu sauras. Fais ta
part, calvaire! Aide-moi un peu, t'en mourras pas! Je suis au bout du rouleau,
comprends-tu? J'en peux plus!
     
    Sur ces mots, la
grosse femme se laissa tomber sur une chaise et éclata en sanglots. Son mari,
stupéfait par cet éclat, demeura d'abord sans voix avant de dire:
     
    - Tu t'en fais
avec rien. La maison nous tombera pas sur la tête si tout est pas Spic and
Span. Calme-toi un peu.
     
    Sur ce, Gérard
alla étendre les couvertures sur le lit.
     
    Laurette finit
par se calmer, s'essuya les yeux et s'alluma une cigarette. Quelques minutes
plus tard, elle se leva et sortit un reste de bouilli de légumes et un peu de
boeuf haché du réfrigérateur.
     
    Il faisait chaud
et pas un souffle de vent ne venait rafraîchir la cuisine.
     
    - Verrat! On
étouffe ici dedans, pesta Laurette en déposant le tout sur le comptoir.
     
    Les enfants
rentrèrent à la maison les uns après les autres, les minutes suivantes.
     
    - Approchez qu'on
mange à soir, dit la mère de famille avec humeur.
     
    On n'est pas pour
souper à neuf heures.
     
    Richard fut le
dernier à rentrer à la maison.
     
    - Comment ça se
fait que t'arrives si tard que ça, toi? lui demanda sa mère, toujours