Le retour

déjà plus de soixante candidats élus et une douzaine d'autres était en
avance.
     
    - Cybole! On dirait
ben que Duplessis va rentrer plus fort que jamais, s'exclama Gérard en se
frottant les mains.
     
    Ça a servi à rien
aux libéraux de remplacer Marier par Lapalme. Il a pas mieux fait. Je pense
même qu'il va se faire battre dans son propre comté, ajouta-t-il en jubilant.
On rit pas. Duplessis en a fait élire soixante-douze. Lapalme en a juste vingt.
J'ai jamais vu les rouges se faire écraser comme ça. Attends demain quand je
vais parler à Bélanger.
     
    Je vais pouvoir
lui tirer la pipe à mon goût. Ça me surprendrait pas pantoute qu'il se cache
une couple de jours parce qu'il va avoir trop honte.
     
    - Ben oui! Ben
oui, fit Laurette, sarcastique.
     
    - Le bonhomme est
peut-être plus ben jeune, mais il est encore capable, conclut Gérard sur un ton
joyeux.
     
    291
    Laurette ne dit
rien. Elle se contenta de se verser un verre de Coke et d'allumer une cigarette
avant de s'asseoir dans sa chaise berçante, l'air mal réveillé. À l'extérieur,
la pluie tambourinait rageusement sur le toit en tôle du hangar et transformait
la terre de la cour en boue.
     
    - Est-ce que ton
mal de tête est passé?
     
    - Oui.
     
    - Pour moi, tu
vas avoir de la misère à dormir cette nuit.
     
    - Ça se peut, se
contenta-t-elle de dire. Où sont les enfants?
     
    - Dans leur
chambre.
     
    - Même Jean-Louis?
     
    - Il vient de
rentrer. Bon. Ça sert à rien de rester debout plus longtemps, l'Union nationale
a encore gagné.
     
    J'écouterai les
nouvelles demain matin. Est-ce que tu continues à écouter le radio?
     
    - Non. Tu peux le
fermer, répondit Laurette, l'air absent.
     
    Gérard se leva,
éteignit la radio et se dirigea vers sa chambre à coucher. Bien réveillée
maintenant, Laurette prit sur le réfrigérateur ses lunettes à monture de corne
qu'elle ne portait que pour lire, ouvrit la revue de Denise demeurée sur la
table et se mit à lire.
     
    Peu à peu, le
silence se fit dans la maison. A l'étage, les Beaulieu semblaient s'être mis au
lit. Les quelques jeunes, qui s'étaient réfugiés sous le balcon, près du
restaurant Paré, pour échapper à la pluie, étaient finalement rentrés chez eux.
Seuls les miaulements intermittents d'une chatte en chaleur dans la grande cour
venaient troubler la paix de cette fin de soirée pluvieuse.
     
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    Le dimanche
suivant, Laurette se leva un peu avant sept heures et s'empressa de faire sa
toilette après s'être allumé une cigarette. Elle finissait d'enlever ses
bigoudis quand Gérard apparut dans la cuisine.
     
    - Veux-tu ben me
dire ce que tu fais debout aussi de bonne heure un dimanche matin? lui
demanda-t-il, surpris.
     
    D'habitude, tu te
lèves pas avant huit heures pour aller à la grand-messe.
     
    - Ben, à matin,
il est pas question que j'aille à la grand-
    messe, tu sauras,
rétorqua-t-elle.
     
    - Qu'est-ce qui
se passe?
     
    - Il se passe que
c'est la procession de la Fête-Dieu à matin et j'ai pas envie pantoute d'être
obligée de marcher dans la rue pendant des heures. J'ai ben assez d'être debout
pendant toute la messe. J'ai ben trop mal aux jambes pour faire ça.
     
    - Je me souviens
d'un temps où tu y allais, lui fît remarquer son mari, sarcastique.
     
    - C'était pour
donner l'exemple aux enfants et parce que les voisins nous auraient montrés du
doigt si on n'y était pas allés.
     
    - Et à cette
heure?
     
    - A cette heure,
les enfants sont assez vieux pour décider tout seuls s'ils veulent y aller ou
pas. Je peux plus les obliger. Ça fait que j'ai décidé, cette année, que
j'étais trop fatiguée pour marcher... Mais toi, t'es reposé, ajoutât-
    elle, narquoise.
Tu pourrais ben y aller.
     
    - Laisse faire.
     
    - T'es un
catholique à gros grains, on dirait, lui fit remarquer sa femme.
     
    - Tu peux ben
parler, toi.
     
    - En tout cas, à
matin, je vais à la basse-messe pour pas me faire poigner à marcher à la fin de
la grand-messe, déclara Laurette sur un ton décidé.
     
    293
     
    Richard pénétra
dans la pièce à ce moment-là en se grattant le cuir chevelu.
     
    - Moi non plus,
je suivrai pas la procession, annonça-
    t-il à ses
parents. J'ai vu le reposoir qu'ils ont fait hier devant l'école Champlain. Il
est pas mal. Ça vaudrait la peine, m'man, que vous y alliez. Il y a plein de
monde qui vont s'apercevoir que vous êtes pas là.
     
    - Toi, le
comique, mêle-toi de tes affaires, le rabroua sa