Le retour

devait être
triste, dit Denise, compatissante, en lui serrant légèrement la main.
     
    - Le pire a été
pour le père et la mère. Ça a été ben dur pour eux autres. Moi, au lieu de m'en
revenir en ville, je suis resté pour finir de rentrer les récoltes. Quand je
suis parti, il restait juste le sarrasin à couper et à apporter au moulin.
     
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    - Ton père va
être tout seul pour faire ça?
     
    - Non. Ma soeur
Anne et son mari viennent s'installer chez mon père cette semaine avec leurs
trois enfants. Ça va mettre de la vie dans la maison et faire un peu oublier
leur deuil à mon père et à ma mère. Fabien, le mari de ma soeur, est un bon
cultivateur.
     
    - Et pour ta job?
demanda Denise.
     
    - J'ai été
chanceux, répondit Pierre en souriant. Hier après-midi, en arrivant, je suis
allé voir tout de suite Mayrand, mon chef d'équipe. C'est un maudit bon gars.
     
    Je lui ai
expliqué ce qui m'avait empêché de revenir. Il m'a repris dans son équipe et je
recommence à travailler demain matin.
     
    - Je suis ben
contente pour toi, dit la jeune fille, soulagée.
     
    - Et chez vous,
qu'est-ce qu'il y a de nouveau?
     
    demanda le
débardeur.
     
    Denise lui
raconta que son père venait de se dénicher un travail de gardien de nuit chez
Elroy, que sa mère avait cessé de travailler chez Viau et que Jean-Louis
n'avait toujours pas donné signe de vie après trois mois, même pas pour
l'anniversaire de sa mère.
     
    - Mais il est ben
sans-coeur, ton frère! s'exclama Pierre.
     
    - Tu devrais voir
ma mère. Je l'ai jamais vue si triste.
     
    Quand elle pense
qu'on la regarde pas, elle a souvent les yeux dans l'eau. Lui, si je lui
mettais la main dessus...
     
    Les deux jeunes
gens s'assirent sur l'un des vieux bancs du parc, face au fleuve, près de la
clôture un peu rouillée qui surplombait le port. Un cargo chargé de grains
descendait lentement le courant.
     
    - Dans trois ans,
quand la canalisation du fleuve va être finie, des bateaux trois fois gros
comme ça vont descendre des Grands Lacs jusqu'à la mer, dit Pierre en
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    montrant le
cargo. Ça, ça va nous faire pas mal plus d'ouvrage, au port.
     
    Denise ne dit rien
durant un long moment, se contentant de replacer sur sa tête son chapeau que le
vent venait de déplacer légèrement. Elle se serra un peu plus contre son
amoureux.
     
    - Est-ce que tu
t'es ennuyé de moi au moins? lui demanda-t-elle à mi-voix.
     
    - Certain,
répondit Pierre sans un instant d'hésitation.
     
    J'ai pensé à toi
tous les jours et j'avais ben hâte de revenir.
     
    Et toi?
     
    - Moi aussi,
chuchota-t-elle en lui tendant ses lèvres après avoir jeté un bref coup d'oeil
autour pour s'assurer de ne pas être vue par des connaissances.
     
    Mais en cet
après-midi un peu frisquet d'octobre, il n'y avait dans le parc que deux ou
trois vagabonds en train de cuver l'alcool ingurgité pour se réchauffer.
     
    Le lendemain
matin, Denise Morin se présenta à la porte du Woolworth un peu avant huit
heures trente, comme tous les matins de la semaine. A son arrivée, Antoine
Beaudry venait de déverrouiller la porte du magasin pour permettre à Jacqueline
Bégin, sa collègue, d'entrer. Denise s'empressa d'aller la rejoindre dans l'arrière-boutique,
là où les jeunes filles suspendaient leurs manteaux et mangeaient leurs repas.
     
    Denise raconta à
son amie que leur gérant ne lui avait pas remis les lettres envoyées par son
Pierre. Jacqueline savait à quel point elle avait souffert de ne pas avoir eu
de nouvelles de son amoureux.
     
    - J'espère que tu
vas aller lui demander des comptes!
     
    dit-elle en
élevant la voix.
     
    - Chut! Pas si
fort, lui ordonna Denise en jetant un regard vers le magasin. Il va t'entendre.
C'est sûr que je vais lui demander ce qu'il a fait de mes lettres.
     
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    - Ben. Qu'est-ce
que t'attends? fit sa collègue. Vas-y avant que le magasin ouvre.
     
    Denise fit un
réel effort pour se décider à aller vers Antoine Beaudry en train de répartir
de la monnaie dans le tiroir de la caisse enregistreuse.
     
    - Monsieur
Beaudry, dit poliment la jeune fille.
     
    - Quoi? fît
l'autre en relevant la tête pour la regarder.
     
    - Mon ami est
revenu du lac Saint-Jean.
     
    - Qu'est-ce que
tu veux que ça me fasse! répondit le petit homme grassouillet, l'air mauvais.
     
    - Il m'a dit
qu'il m'avait écrit des lettres de là-bas et que son oncle vous les avait
laissées pour moi. Je pense qu'il va venir vous