Le retour
se précipita à sa rencontre.
- Toi, mon espèce
d'insignifiant! dit-elle à son jeune frère. Décolle!
Richard retourna
dans la cuisine avec un éclat de rire.
- Qu'est-ce qu'il
t'a raconté? demanda-t-elle à Pierre, le visage illuminé par un grand sourire.
- Il m'a dit que
t'étais déjà sortie avec ton nouveau chum.
- J'espère que tu
l'as pas cru.
- J'étais pas
trop sûr.
-- Entre. Reste
pas là, ordonna-t-elle au visiteur. Viens t'asseoir dans la cuisine. Mon père
vient d'aller se coucher, il travaille la nuit prochaine. Je voudrais pas le
réveiller, ajouta-t-elle en lui montrant la porte de la chambre de ses parents
toute proche.
Pierre s'avança
dans le couloir et pénétra dans la cuisine où Laurette était occupée à
confectionner des cigarettes, au bout de la table. Après l'avoir saluée, le
jeune débardeur s'assit à côté de Denise.
- Sais-tu que ma
fille commençait à penser que t'étais mort, fit Laurette sur un ton qui n'était
pas dénué de reproches.
- M'man! protesta
faiblement la jeune fille.
- C'est vrai que
deux petites lettres en deux mois, c'était pas beaucoup, mais j'ai eu tellement
d'ouvrage, s'excusa Pierre.
410
- Comment ça,
deux lettres? demanda Denise. J'ai jamais reçu de lettres, moi.
- C'est bête à
dire, mais je me souvenais plus pantoute de ton adresse, ça fait que, chaque
fois, je les ai mises dans une enveloppe que j'ai envoyée à mon oncle Eugène.
Il m'a dit qu'il était allé les porter lui-même à ton magasin.
- Ben, voyons
donc! Beaudry m'a jamais donné de lettres. T'es sûr que ton oncle lui a donné
tes lettres?
- Certain. Je lui
ai encore demandé hier, quand je suis arrivé. Veux-tu que j'aille parler à ton
gérant pour lui demander ce qu'il a fait de mes lettres?
- Laisse faire.
Je vais m'en occuper. Tu peux être certain que je vais lui demander ce qu'il a
fait de mes lettres, demain matin, en arrivant à l'ouvrage, déclara Denise,
fâchée. Je me serais pas mal moins inquiétée si j'avais eu de tes nouvelles de
temps en temps, avoua-t-elle sans fausse pudeur.
-- Il fait beau
dehors. Est-ce que ça te tenterait d'aller faire une marche? lui proposa
Pierre. Comme ça, on laisserait ton père dormir tranquille et ta mère pourrait
aller se reposer, elle aussi.
- Vous me
dérangez pas pantoute, affirma Laurette sans montrer trop de conviction.
Denise accepta et
les deux amoureux quittèrent la maison en direction du parc Bellerive. En cette
fin du mois d'octobre, le soleil réchauffait peu. Les arbres avaient perdu
presque toutes leurs feuilles qui jonchaient les allées et s'amassaient au pied
du moindre obstacle. La main dans la main, les amoureux parcoururent à pas
lents les étroites allées asphaltées du parc en se communiquant les dernières
nouvelles.
- Tu m'as pas
encore dit pourquoi t'es resté aussi longtemps chez vous, dit Denise en
tournant la tête vers son ami.
411
- Si t'avais reçu
ma dernière lettre, tu saurais déjà que mon frère Jean est mort il y a trois
semaines, dit Pierre, la voix éteinte.
- Comment ça? Tu
m'avais dit que c'était pas si grave que ça et qu'il pourrait guérir à la
maison.
- Il faut croire
que c'était plus grave que ce que ma mère avait raconté à mon oncle Eugène au
téléphone, admit Pierre Crevier. Avant d'arriver à Sainte-Marie, je suis arrêté
à l'hôpital d'Alma pour le voir. Il avait l'air à peu près correct. Il m'a même
dit que le docteur le laisserait sortir dans une semaine ou deux.
- Puis?
- Puis, il paraît
qu'il y a eu des complications. Mon père et ma mère sont retournés le voir deux
ou trois fois avec certains de mes frères et de mes soeurs. Après quinze jours,
l'hôpital a pas voulu le laisser sortir. Il paraît qu'il y avait quelque chose
qui marchait pas. Il perdait connaissance souvent. J'aurais ben voulu m'en
revenir pour recommencer à travailler au port, mais Jean et moi, on était les
seuls garçons pas mariés de la famille. Ça fait que j'ai pris le risque de
rester plus longtemps, même si ça pouvait me faire perdre mû job.
- T'as ben fait,
l'approuva Denise.
- Après ça, tout
est allé de travers. Un matin, ils l'ont trouvé dans le coma et il en est
jamais sorti. Quand mon père et ma mère sont arrivés à l'hôpital, il venait de
mourir.
On l'a exposé
dans le salon, chez nous, puis on l'a enterré.
- Ça
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