Le retour
nuit ce mois-ci, dit-elle à son frère. Elle aurait pas pu
laisser ses deux filles toutes seules à la maison pour venir t'aider.
- Qu'est-ce que
je fais si j'arrive pas à rejoindre ce maudit docteur-là.
- Fais bouillir
de l'eau et prépare les affaires du petit.
J'arrive. Je vais
demander à un de mes gars de venir me reconduire.
Sur ce, Laurette
raccrocha. Elle s'empara de son étui à cigarettes dont elle en tira une qu'elle
se dépêcha d'allumer pour finir de se réveiller. Denise et Carole sortirent à
nouveau de leur chambre pour savoir ce qui se passait.
- Votre tante
Marie-Ange va avoir son petit. Elle a besoin de moi, ajouta-t-elle.
- Voulez-vous que
j'y aille avec vous? lui offrit Denise.
- Deux femmes sur
la rue en pleine nuit, il en est pas question, refusa sa mère. Je vais demander
à un des gars de venir me reconduire chez votre oncle.
Les deux filles
rentrèrent dans leur chambre pour se remettre au lit.
- Dis-moi pas que
c'est pas les sauvages qui apportent les enfants, se moqua Carole en se
couchant.
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- Niaiseuse!
s'exclama Denise. Pourquoi tu dis ça?
- C'est la première
fois que m'man dit devant moi qu'une femme va avoir son petit et que c'est pas
les sauvages qui l'apportent.
- Va surtout pas
lui dire ça, la mit en garde sa soeur aînée avant de se tourner sur le côté. Tu
vas te faire remettre à ta place, ce sera pas long. Une fille pas mariée est
pas supposée parler de ça.
Pendant ce temps,
Laurette était entrée dans la chambre occupée par Richard et l'avait rudement
secoué pour le réveiller.
- Quoi? Qu'est-ce
qu'il y a? fît l'adolescent, tiré d'un sommeil profond.
- Grouille!
Habille-toi, lui ordonna sa mère. Viens me reconduire chez ton oncle Bernard.
- Quelle heure il
est? Il fait encore noir dehors, dit Richard en tournant la tête vers la
fenêtre.
- Laisse faire
l'heure. Lève-toi, lui commanda Laurette en regardant dans la pièce à côté si
Gilles n'était pas plus à même de l'accompagner. Allume pas la lumière pour pas
réveiller ton frère.
Ce dernier venait
de bouger dans la pièce voisine même pas séparée par un rideau, mais rien
n'indiqua que la voix de sa mère l'avait réveillé.
Richard se leva,
s'habilla dans le noir et se rendit dans la cuisine où sa mère l'attendait, son
manteau sur le dos.
- Dépêche-toi,
lui ordonna-t-elle en lui tendant son manteau et sa tuque. Ta tante a besoin de
moi. Ça presse.
- En pleine nuit?
- Ben oui. Elle
est malade et ton oncle arrive pas à rejoindre le docteur, répondit sa mère,
toujours aussi évasive quand il s'agissait d'affaires qui, à son avis, ne
concernaient que les femmes mariées.
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- Ça vous a pas
tenté d'appeler un taxi? demanda son fils après avoir chaussé ses bottes et
enfoncé sa tuque sur sa tête.
- Es-tu malade,
toi? fit sa mère avec humeur. Ça coûte les yeux de la tête et il aurait pris
presque autant de temps à arriver que nous autres à aller chez ton oncle à
pied.
La mère et le
fils sortirent de la maison. Un seul lampadaire éclairait la petite rue Emmett
qu'un vent glacial de l'ouest avait prise en enfilade cette nuit-là. En
grelottant, serrés l'un contre l'autre, ils arrivèrent au coin de Fullum et
tournèrent vers le nord. Moins de dix minutes plus tard, Laurette, transie
jusqu'aux os, frappa à la porte de son frère. Ce dernier devait attendre tout
près parce qu'il lui ouvrit presque aussitôt.
Les nouveaux
arrivés furent accueillis par les gémissements de la parturiente.
- Qu'est-ce
qu'elle a, ma tante, à crier comme ça?
demanda Richard,
stupéfait.
- Ça te regarde
pas, le rembarra sèchement sa mère en le retenant de la main sur le palier.
Bon. Tu peux t'en retourner tout de suite, fit Laurette en se tournant vers son
fils. Je reviendrai pas à la maison avant demain matin.
Tu avertiras ton
père quand il reviendra de travailler.
- C'est correct,
m'man, mais vous allez au moins me donner cinq minutes pour me dégeler un peu,
protesta l'adolescent. Je suis gelé comme un coton, moi.
- OK, Laurette,
je m'occupe de lui, fit son frère Bernard. Va voir Marie-Ange dans la chambre.
Pendant ce temps-là, je vais donner quelque chose à ton gars pour le
réchauffer.
Pas trop rassuré
par les gémissements de sa tante qui allaient en crescendo, Richard suivit son
oncle Bernard dans la cuisine.
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