Le retour
vivre les enfants et l'avait libéré de tous les soucis
financiers.
Mais tout cela
était maintenant fini. Il lui fallait reprendre son rôle de père de famille. Il
avait brusquement l'impression que tout lui retombait brusquement sur les
épaules comme une chape de plomb. Pendant un bref moment, il en vint même à
regretter d'être sorti de Saint-Joseph.
Il jeta un regard
à la dérobée aux hommes assis sur les bancs dans le parc. La plupart étaient
des épaves. Allait-il devenir comme eux?
- Bâtard! Il faut
que je me secoue, dit-il à mi-voix.
Je suis pas un
petit vieux. Je suis encore capable de travailler.
OK. Ça peut me
prendre un bout de temps avant de trouver quelque chose, mais ça presse tout de
même pas comme une cassure de me trouver une job. J'ai perdu trois ans de ma
vie. J'ai ben le droit de souffler un peu.
Sur ces mots, il
se leva, un peu rasséréné. Il se mit lentement en marche et sortit du parc. Il
traversa la rue Notre-Dame au coin de Fullum pour rentrer chez lui. Il allait
prendre l'après-midi pour réfléchir aux endroits où il se présenterait le
lendemain. Il se donnait une semaine pour dénicher un emploi. Laurette pouvait
bien continuer chez Viau une semaine ou deux de plus pour lui donner le temps
de se remettre en selle.
Ce soir-là, à son
retour du travail, sa femme le trouva assis sur le balcon, en train de fumer
paisiblement, les jambes confortablement étendues devant lui.
- Puis? Comment
ça a été à la compagnie?
- Il y a rien
pour moi, laissa tomber Gérard. Ils vont me rappeler s'il y a quelque chose.
- Comment ça?
- Cybole,
Laurette, es-tu sourde? Je viens de te dire qu'ils ont pas d'ouvrage pour moi.
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- La bande de
chiens sales! s'emporta sa femme. Ils m'avaient dit qu'ils essaieraient de te
garder ta job quand t'es tombé malade.
- Tu pensais tout
de même pas qu'ils allaient m'attendre trois ans, protesta son mari.
- Il me semble
qu'ils auraient pu t'offrir quelque chose, les écoeurants! Là, qu'est-ce que tu
vas faire?
- J'ai pas le
choix. A partir de demain, je vais me chercher une job ailleurs. J'ai pas
soixante-dix ans. Je suis pas fini. Je suis encore capable de trouver quelque
chose, ajouta-t-il, plus pour se rassurer que pour la convaincre.
- Moi, j'ai les
jambes mortes, déclara Laurette en se laissant tomber lourdement sur le vieux
banc sur lequel elle déposait son panier lorsqu'elle avait du linge à étendre.
Aujourd'hui, on
crevait de chaleur à l'ouvrage.
- Repose-toi un
peu, lui suggéra Gérard. Carole m'a dit tout à l'heure que le souper était
presque prêt.
Au même moment,
Richard entra dans la cour et tendit à son père une boîte de tabac Player's.
- C'était la
dernière chez Paré, dit-il à son père. Si vous voulez fumer des Export toutes
faites, p'pa, je peux vous en passer, offrit-il à son père en ouvrant son
paquet de cigarettes avant de le lui tendre.
- Non. C'est
correct comme ça, refusa Gérard. Tes Export sont trop fortes à mon goût.
- Dis-moi pas que
tu vas te remettre à fumer? fit Laurette.
- Ben oui.
Pourquoi tu me demandes ça?
- Ben. Le docteur
te l'a défendu, non?
- Il me l'a
défendu quand j'étais malade. A cette heure
que je suis
guéri, je peux fumer.
- Mais les
soeurs, elles...
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- Laisse faire
les soeurs, fit son mari en haussant un peu la voix. Elles voulaient pas qu'on
fume parce qu'elles avaient peur qu'on mette le feu.
- C'est toi qui
le sais, admit Laurette en faisant un effort pour se relever. Je vais aller
aider aux filles à préparer le souper. A soir, on va manger du baloney rôti
avec des patates.
Ce soir-là,
Gérard renoua avec une vieille tradition.
Après le repas,
il entreprit de confectionner ses cigarettes pour la semaine et il les déposa
dans la boîte métallique qui avait contenu son tabac.
Les deux jours
suivants, Gérard Morin partit tôt de la maison chaque matin et alla demander du
travail dans une douzaine de compagnies de la rue Notre-Dame situées tant dans
l'est que dans l'ouest de Montréal. Chaque fois qu'il devait prendre le
tramway, il était frappé par l'augmentation du nombre de véhicules qui
sillonnaient cette grande artère de la métropole. Il commençait sérieusement à
croire les politiciens qui affirmaient que, dans moins de cinq ans, près de la
moitié des foyers aurait une automobile.
Sa quête
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