Le retour
lit, et en tira une grande enveloppe
brune. Il l'ouvrit et en extirpa un grand calendrier.
- Tiens!
Rince-toi l'oeil, mon frère, chuchota-t-il en lui tendant le calendrier.
- Whow! s'exclama
l'étudiant en contemplant une femme dont les formes généreuses étaient
largement révélées par un costume de bain.
- Il y en a une
pour chaque mois! dit Richard avec enthousiasme. Moi, en tout cas, j'ai jamais
vu des belles femmes comme ça, même aux vues.
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Gilles feuilleta lentement
le calendrier sous l'oeil réjoui de son frère. Les brunes, les blondes et les
rousses étaient photographiées dans des poses pour le moins suggestives.
- Grouille-toi un
peu, finit par lui dire Richard. S'il fallait que la mère nous poigne avec ça,
elle ferait une syncope.
- Où est-ce que
t'as trouvé ça?
- Paul Jutras, le
gars qui travaille avec moi, me l'a donné. Le meilleur, c'est qu'il a une soeur
de dix-sept ans.
Elle a presque
mon âge. Il m'a dit qu'elle ressemble à la fille du mois de décembre sur le
calendrier. Regarde. C'est la petite brune. Elle est belle en maudit.
Gilles s'empressa
de feuilleter le calendrier et il se retrouva vite en train d'examiner une
magnifique créature aux yeux verts coquins qui semblait lui lancer une invite.
- Puis?
demanda-t-il, sceptique.
- Puis, il m'a
dit qu'il était pour me la présenter, répondit son jeune frère, enthousiaste.
Moi, une fille comme ça, c'est mon rêve, ajouta-t-il en s'emparant de son
calendrier qu'il se dépêcha de dissimuler à nouveau sous le matelas. Si t'as
envie de le regarder de temps en temps, tu peux le faire, mais fais ben
attention que la mère te poigne pas avec.
- OK, fit Gilles
sans montrer grand intérêt.
Richard
s'agenouilla pour tirer de sous le lit la boîte dans laquelle il rangeait ses
bandes dessinées. Il en choisit une et quitta la pièce pour aller s'asseoir sur
les marches conduisant au balcon, à l'arrière de l'appartement.
Pour dire la
vérité, il n'avait pas trop la tête à lire les aventures de Lone Ranger. Depuis
que Jutras lui avait fait miroiter la possibilité de lui présenter sa jeune
soeur le dimanche suivant, il ne pensait plus qu'à ça. Chaque fois qu'il allait
aux toilettes, il se regardait durant un long moment dans le miroir suspendu
au-dessus du lavabo en
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se demandant si
la jeune fille allait le trouver assez beau pour elle. Il plaquait alors ses
oreilles contre son crâne, vérifiait l'ordonnance de son " coq " et
examinait de près si son soupçon de moustache était bien visible. Aussi étrange
que cela pouvait paraître, l'adolescent était plus préoccupé par le fait qu'il
n'était pas encore obligé de se raser plus d'une fois ou deux par semaine que
par ses oreilles un peu décollées.
Richard Morin
reconnaissait volontiers qu'il n'avait encore connu aucun succès auprès des
jeunes filles du quartier. Il avait beau prendre des airs affranchis quand il
se trouvait en compagnie de ses copains et parler haut et fort quand une fille
passait, il n'en restait pas moins qu'il ne pouvait se vanter d'aucune
conquête. La seule fille qui lui avait accordé un peu d'attention avait été la
jeune Monique Côté, à l'époque où il était élève en sixième année, à l'école
Champlain. Alors qu'il était follement amoureux d'elle, elle lui avait préféré
un grand de l'école Meilleur. Par la suite, toutes ses tentatives de jouer au
grand séducteur s'étaient soldées par de lamentables échecs. Mais il ne
renonçait pas. Si son frère Gilles sortait encore, de temps à autre, avec la
belle Nicole Frappier, il ne voyait pas pourquoi il serait incapable de se
faire aimer par une fille, lui aussi.
- Je suis plus
beau que lui et j'ai de l'argent pour sortir une fille, marmonna-t-il pour
lui-même, en songeant à son frère qu'il ne jalousait pas.
Dans la cuisine,
Gérard avait syntonisé Radio-Canada où Georges-Emile Lapalme comparait le
premier ministre Duplessis à un dictateur qui se servait de la menace
communiste pour faire peur aux électeurs. Il le présentait comme le chef d'un
parti corrompu qui, sous le prétexte d'avoir voulu intimider le fédéral, avait
instauré un impôt provincial deux ans auparavant. Il le tenait pour responsable
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du pourrissement
des longues grèves dans le papier et le textile l'année précédente. À son avis,
Maurice Duplessis était un vieux politicien usé qui avait fait son temps.
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