Le retour
entra et
referma silencieusement derrière lui. L'homme ne reparut qu'après un long
moment.
- Monsieur Morin,
si vous voulez venir, dit-il au demandeur d'emploi. Monsieur Gingras peut vous
recevoir.
Gérard s'empressa
de se lever et pénétra dans une pièce sévèrement meublée d'un vieux bureau en
noyer, d'un classeur et de deux chaises en bois disposées devant le bureau.
- Assoyez-vous,
monsieur... monsieur Morin, dit un homme grand en manches de chemise, sans
lever la tête d'un dossier qu'il était en train de consulter.
Gérard s'assit et
attendit, fébrile, que l'autre ait terminé sa lecture.
- Bon. Excellents
états de service, reconnut Paul-
Emile Gingras en
refermant la chemise cartonnée déposée
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devant lui. Je
vois que vous avez longtemps travaillé pour nous, ajouta-t-il en repoussant sur
son nez ses lunettes à monture en corne.
- Vingt-deux ans,
monsieur.
- Le problème,
monsieur Morin, c'est que, vous vous en doutez bien, nous vous avons remplacé
depuis longtemps. Le magasinier qui a pris votre place nous donne entière
satisfaction. Vous comprenez qu'on peut pas le mettre à la porte parce que vous
revenez.
- Oui, mais j'ai
travaillé tellement longtemps pour vous autres, voulut plaider Gérard.
- C'est la vie,
monsieur Morin. On pouvait pas vous garder votre place indéfiniment.
- Oui, je
comprends ça, reconnut Gérard d'une voix assourdie. Mais je suis prêt à prendre
une autre job. Je suis pas difficile.
- Malheureusement,
on n'a rien à vous offrir pour le moment, dit le directeur sur un ton qui se
voulait compatissant.
J'aimerais bien
vous reprendre, mais j'ai pas d'ouvrage pour vous aujourd'hui. Le mieux que
vous puissiez faire, c'est de laisser votre nom et votre numéro de téléphone à
monsieur Lanctôt avant de partir et s'il y a une ouverture - on sait jamais -
on vous téléphonera. Si vous trouvez rien ailleurs d'ici là, il est possible
que nous ayons quelque chose pour vous au début de l'automne prochain.
- Merci,
monsieur, dit Gérard, le coeur gros.
Déjà, Paul-Emile
Gingras était debout et lui tendait la main.
- Je vous
souhaite bonne chance, monsieur Morin.
Gérard la lui
serra et avant même qu'il ait quitté la pièce, l'autre s'était rassis et replongé
dans son travail.
Tétanisé par la
mauvaise nouvelle qu'il venait d'apprendre, l'ancien magasinier laissa tout de
même ses coordonnées
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au commis de
bureau avant de quitter la Dominion Rubber.
Quand la porte de
l'immeuble se referma derrière lui, il éprouva l'impression déprimante qu'il ne
remettrait plus jamais les pieds dans ces lieux. Le coeur serré et incapable
d'évaluer toute la portée de ce qui venait de se passer, le quadragénaire se
mit lentement en marche vers la rue Emmett.
Qu'allait-il
devenir? Comment allait-il nourrir les siens? Trouver un emploi à quarante-cinq
ans n'allait sûrement pas être facile. De plus, chaque fois qu'il allait se
présenter quelque part, on ne manquerait pas de lui demander ce qu'il avait
fait durant les trois dernières
années. Au mot
"tuberculose", on allait lui claquer la porte au nez. Il avait
pourtant besoin d'argent pour faire vivre sa famille, il lui fallait trouver
quelque chose le plus vite possible.
Au coin de la rue
Fullum, il aperçut le parc Bellerive avec ses quelques carrés de pelouse bien
délimités par des sentiers asphaltés. Il ressentit une envie irrépressible
d'aller s'asseoir sur l'un des bancs disposés face au fleuve que remontait
lentement un cargo lourdement chargé. Il avait besoin de réfléchir.
Alors, au lieu de
traverser la rue Notre-Dame et de rentrer chez lui, il marcha quelques
centaines de pieds plus loin et pénétra dans le parc. Plusieurs bancs étaient
occupés par des vagabonds et des ivrognes en train de cuver au soleil. Il en
trouva cependant un inoccupé et s'y assit. Durant de longues minutes, il fixa
le bout de ses chaussures, insensible à la caresse des chauds rayons d'un
soleil déjà presque parvenu à son zénith.
L'homme se
sentait soudainement dépassé par la situation.
Durant les trois
dernières années, il n'avait eu d'autres responsabilités que de guérir et de
prendre soin de lui. Il s'était ennuyé au sanatorium, mais les religieuses
avaient
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fait en sorte que
la plupart des tracas extérieurs ne viennent pas entraver sa guérison. Laurette
s'était chargée de faire
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