Le retour

d'un
emploi demeurait toutefois stérile et il commençait à s'impatienter
sérieusement. Sa frustration
    était d'autant
plus grande que tout le monde autour de lui semblait travailler. Il avait
l'impression d'être un paresseux qui se faisait vivre par sa femme et ses
enfants. D'ailleurs, il avait volontairement calqué son horaire de recherche
d'emploi sur celui des travailleurs, de manière à ne pas être montré du doigt
par les habitants de la rue Emmett qui auraient probablement trouvé à redire
s'ils l'avaient vu assis chez lui quand sa femme était au travail.
     
    En cette fin de
mercredi après-midi, il rentra affamé à la maison. Il n'avait pas eu assez
d'argent en poche pour
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    dîner au
restaurant et ne voulait pas manger des sandwichs sur la rue? Pendant que
Carole, rentrée de l'école quelques minutes plus tôt, lui préparait un sandwich
pour le faire patienter jusqu'au souper, il alluma la radio pour écouter les
informations. Au moment où il s'assoyait à table, il entendit la voix de Roger
Baulu annoncer:
     
    - Cet après-midi,
le très honorable Maurice Duplessis a mis fin à toutes les spéculations au
sujet de la date d'élections générales dans la province. Il a annoncé en
Chambre que les habitants de la province de Québec auraient l'occasion d'aller
aux urnes le 20 juin prochain. Comme à son habitude, le premier ministre a pris
sa décision un mercredi, jour dédié à saint Joseph, saint auquel, comme chacun
le sait, il voue une dévotion particulière. Le nouveau chef du parti libéral,
Georges-Emile Lapalme, en poste depuis moins de trois ans, a, pour sa part,
déclaré que ses troupes étaient prêtes et qu'il présenterait des candidats dans
les quatre-vingt-treize comtés de la province.
     
    Gérard se frotta
les mains de satisfaction en écoutant cette nouvelle. Rien ne lui plaisait
autant que la politique.
     
    Sans être un
unioniste fanatique, il vouait une grande admiration à Maurice Duplessis autant
pour sa lutte contre les communistes que pour sa chasse aux témoins de Jéhovah.
"C'est mon homme", s'était-il toujours plu à dire à son voisin,
Bernard Bélanger, un libéral convaincu.
     
    Le plus étrange
était probablement le fait qu'il n'avait voté qu'en une seule occasion dans sa
vie...
     
    A son retour à la
maison, Laurette trouva son mari en grande discussion avec Bernard Bélanger, à
qui il parlait pour la première fois depuis son retour du sanatorium.
     
    Carole avait dû
révéler sa maladie à sa grande amie Mireille, la fille de l'éboueur, parce que
ce dernier lui parlait comme s'il n'avait jamais quitté le quartier. Elle salua
les deux hommes et les laissa à leur discussion.
     
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    - Ton Lapalme va
avoir du pain sur la planche, le taquina un Gérard d'excellente humeur. D'après
moi, il est pas de taille pantoute. Maurice va le manger tout rond.
     
    - Vends pas la
peau de l'ours trop vite, lui conseilla le gros homme en passant une main dans
son épaisse tignasse poivre et sel. Lapalme, c'est pas Marier. Ça fait
peut-être même pas trois ans qu'il est chef du parti, mais tu vas t'apercevoir
que c'est tout un homme. T'as entendu Hamel la semaine passée? Il a promis
qu'on était pour nettoyer "la caverne de voleurs" aux élections. Ben.
On y va en élections. C'est là qu'on va voir.
     
    Quand Gérard
rentra dans l'appartement en annonçant la nouvelle du jour à sa femme, cette
dernière souleva les épaules en disant:
     
    - T'en as du
temps à perdre avec ces maudites niaiseries-là. C'est pas ça qui vient mettre
du pain et du beurre sur la table.
     
    Gérard se sentit
piqué au vif par sa remarque et blêmit.
     
    - Tu sauras que
j'ai cherché de l'ouvrage toute la maudite journée, s'emporta-t-il. J'ai pas
niaise.
     
    - Whow! Prends
pas le mors aux dents! C'est pas ça pantoute ce que je voulais dire, fit sa
femme, surprise par cet éclat. Je voulais juste dire que c'est pas la politique
qui va nous aider à arriver.
     
    Gérard s'assit à
table et ne dit plus rien pendant que sa femme et ses filles commençaient à
servir le repas du soir.
     
    Le lendemain
soir, Richard ne revint de son travail qu'un peu avant sept heures. A son
entrée dans la maison, il trouva son père, l'air morose, en train de lire son
journal pendant que sa mère et Denise étaient occupées à plier les vêtements
qui venaient d'être retirés de la corde à linge.
     
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    La radio jouait
en sourdine L'Hymne à l'amour, le dernier succès d'Edith