Le rêve de Marigny
situé dans la Via del Corso, s’élevait au carrefour de toutes les festivités romaines. On ne pouvait qu’y voir le témoignage permanent de la grandeur du roi de France.
Vandières y fut reçu par le directeur de l’Académie, le peintre Jean-François de Troy, vieillissant et grognon, visiblement dérangé dans ses habitudes par quatre voyageurs importuns mais qu’il faudrait ménager, étant les envoyés du roi. Un autre personnage, et d’une tout autre envergure, avait tenu à accueilllir le futur Directeur des Bâtiments, l’ambassadeur de France à Rome Louis-Jules Mancini-Mazarini, troisième duc de Nevers, couramment appelé duc de Nivernais. Arrière-petit-neveu de Mazarin, le duc de Nevers avait de quitenir. Mince, élégant, imperturbable pour ne pas dire énigmatique, un sourire à peine esquissé affleurant sur ses lèvres minces, le regard aigu, pénétrant, il était évident qu’il analysait dans l’instant toute situation, que son jugement était rapide, et que son amabilité de surface, ou de fonction, ne pouvait dissimuler une intelligence redoutable. Cet ambassadeur-là n’avait rien de la séduction évidente et de la bonhomie affichée d’un La Chétardie. Mais comment résister à l’ambassadeur romain ? Plus italien que français dans ses manières, il était bien de la lignée de son ancêtre et on comprenait vite à le voir évoluer que Louis XV n’avait pas eu l’ombre d’un doute sur son avenir diplomatique. Auteur à ses heures, il avait déjà à trente-quatre ans commis comédies, essais sur l’art, fables. Cette belle activité littéraire l’avait conduit à l’Académie tout droit, et sans coup férir. De quoi faire rêver Le Blanc, qui était néanmoins tout sauf envieux.
Le duc de Nivernais accueillit Abel avec toute la courtoisie qu’on attendait de lui, et fit aussitôt son rapport à Versailles. Nul doute que le roi attendait son jugement. Bientôt l’ambassadeur conduirait son hôte au pape pour une audience privée, un Mazarin savait reconnaître ceux dont il faut se soucier. Superbe moment pour Abel profondément ému, qui rapporterait à son père un chapelet béni par le Saint Père. Chez les Poisson, quelle que fût l’élévation où on était parvenu, le souci de la famille était constant. De quoi émouvoir Mazarini ? Peut-être. S’il y avait une faille chez cet homme, elle était là. Le duc de Nevers avait été quatre fois père, mais pour reprendre le langage du temps il avait perdu deux enfants ,il ne lui restait que deux filles. Rêvait-il d’avoir un jour un fils aussi attentionné que Vandières ?
Pendant qu’Abel passait du Vatican aux bals et aux réceptions des palais romains, s’égarant à l’occasion dans le sillage de quelque belle Romaine, chacun des voyageurs reprenait sa propre quête. Soufflot occupé par sa passion romaine arpentait la ville, d’une église à l’autre parce qu’il les aimait, d’un théâtre à l’autre car il en avait reçu mission et qu’ils étaient en train de devenir sa nouvelle passion. Cochin avait retrouvé avec délices ses crayons, il croquait à longueur de temps places et fontaines, c’était l’enquête qui lui avait été dévolue. Le Blanc n’écrivait toujours pas. François Poisson s’en fâchait dans une lettre à son fils. Le Blanc n’avait-il pas pour mission de faire des comptes-rendus du voyage ? Au roi, certes, mais aussi à la famille, c’était au moins l’opinion de François Poisson. « Dites à votre foutu abbé que je ne lui pardonnerai jamais son silence. » Poisson écrivait comme il parlait, comme il pensait, et qu’on le prenne comme on le voulait, c’est de son fils qu’il s’agissait ! Si le père s’inquiétait, la fille savait bientôt ce qu’il fallait savoir du voyage de son frère. Abel lui écrivait. Comment aurait-il négligé Jeanne ? L’ambassadeur faisait aussi ses rapports, sans passion mais avec objectivité et précision, et jamais voyage ne fut tant suivi, et dans le plus menu détail, que le périple d’Abel en Italie. Jeanne ne manquait pas de réagir aux excellentes nouvelles qui lui parvenaient. Abel reçu par le pape ? Son cœur en tressaillit de joie. Elle n’en attendait pas tant de Rome. Vandières avaitencore séduit. Elle se laissa aller à quelques compliments « Monsieur de Nivernais est content de vous. » Connaissant le personnage c’était une fameuse louange. Toutefois Jeanne avait pour principe
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