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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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roi riait. À Rome, Le Blanc, Cochin, Soufflot, le taquinaient, il était leur ami et il était si jeune. Abel renoua vite avec la belle Romaine. Quelques compliments dans un bal, des fleurs discrètement envoyées, le rendez-vous ne tarda pas. Il y en eut un, d’autres suivirent. Les nuits romaines étaient bien exaltantes. Elles n’étaient pas sans surprises.
    Abel revenait un matin de chez la belle et se glissait avec la plus grande discrétion dans l’escalier du palaisMancini quand il fut arrêté au milieu des degrés par une grande clameur.
    — Ah ! Vous voilà, vil suborneur des femmes honnêtes !
    Frappé de plein fouet par cette invective, Abel s’immobilisa, étourdi par l’injure. L’incrédulité se mêlait à la stupéfaction. Ce n’était quand même pas à lui que s’adressait l’affront ? Il se retourna, regarda de tous côtés, il était seul. Non, une silhouette imprécise se penchait par-dessus la rampe. Des flambeaux étaient allumés à l’étage, il y parvint en quelques enjambées pour y découvrir à sa grande surprise Troy, le directeur de l’Académie brandissant du haut de ses soixante-douze ans un poing vengeur qu’il imaginait plein de force. Abel réprima une forte envie de rire. Le vieux directeur sans doute en était encore au temps où les jeunes gens se couchaient tôt et attendaient chastement le mariage. Mais ce temps avait-il jamais existé ? Peut-être pour le vieux peintre dont on avait du mal à imaginer qu’il ait jamais été séduisant. Abel essaya de garder son sérieux.
    — Calmez-vous, monsieur ! Je n’ai pas à vous rendre compte de l’emploi de mes nuits.
    — Oh ! Que si !
    Le ton montait, les insultes continuaient de pleuvoir, et restaient toujours aussi énigmatiques pour Abel. Le tapage finit par réveiller des pensionnaires qui arrivèrent tout ébahis, et attirèrent bien sûr Cochin et l’abbé Le Blanc qui s’amusaient fort de la colère du peintre. Abel s’impatientait. L’affront était maintenant public et il n’admettait pas qu’on lui tînt un tel langage.
    — Taisez-vous, monsieur, et rentrez dans vos appartements.
    Troy apparemment n’entendait rien et continuait le chapelet de ses accusations. Le nom de la dame fut enfin prononcé.
    — Vous diffamez une dame, maintenant ? Quelle impudence ! Et de quel droit mêler son nom à ce tissu de grossièretés ?
    — Du droit que j’en ai !
    Dans l’impossibilité de faire taire le vieil atrabilaire, des domestiques s’en emparèrent sur un signe d’Abel. L’incident était clos.

    Le lendemain Abel apprit de ses deux amis partis aux renseignements que la belle Romaine s’ennuyait sans doute fort car elle avait pris le vieux Troy comme amant avant l’arrivée autrement réjouissante du jeune Vandières. Monsieur de Nivernais à qui rien n’échappait fut à la fois amusé et consterné. Troy avait dépassé la mesure. Le rapport partit aussitôt à Versailles. Louis XV s’amusa de l’incident, il n’était pas homme à se choquer d’une aventure galante, mais ne pardonna pas à Troy le scandale. Quelque temps plus tard il nommait Natoire directeur de l’Académie et Troy mourait d’apoplexie en voyant arriver son successeur au palais Mancini.

    Abel était bien loin d’imaginer les suites de son aventure romaine, il oublia l’incident. La belle Romaine l’avait amusé un temps mais son départ pour Naples était imminent et son seul vrai souci était l’état de santéde Soufflot. Les eaux de Viterbe n’avaient pas été suffisantes pour le remettre en santé, il lui fallait regagner la France. Le quatuor de si belle amitié ne se reconstruirait pas pendant le voyage d’Italie. Puisqu’il fallait un architecte, Charles Bellicard, jeune pensionnaire de l’Académie reprendrait sa charge, sa charge seulement. L’amitié, pour l’éternité, était pour Soufflot.

Les six premiers mois du voyage avaient été pour Abel ceux de l’insouciance, du bonheur de vivre et de voyager, le temps d’une belle amitié aussi avec Soufflot et Cochin. S’il fallait à toute fin définir ce passage privilégié de sa vie, il suffirait peut-être de dire qu’il était jeune, merveilleusement jeune, seulement jeune, et sans doute pour la dernière fois de sa vie. Le moment qu’il vivait était chargé d’espoir, la charge qui lui reviendrait, ses projets, tant de choses qui lui paraissaient d’autant plus merveilleuses qu’il les situait encore loin dans un

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