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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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indifférence le laissait interdit. Il était évident que Marigny en avait essuyé d’autres, les « poissonnades » ce n’était pas rien ! Marigny en avait souffert, et il s’en était remis. Peut-être. La raison lui soufflait aussi que Paris se lasserait vite de ces chansonnettes insipides et sans lendemain, et moquerait sur le dos d’un autre à la premièreoccasion. Il ressassait pourtant sa déception, et en cet instant précis sa solitude.

    Marigny avait déjà tourné la page. Les couplets dont il avait été le héros l’avaient endurci, et puis les colonnes, il fallait bien l’avouer, il préférait qu’on les oublie. Les soucis ne lui manquaient pas. Il y avait ceux des Bâtiments, il y était habitué, mais surtout il y avait Jeanne.
    En cette fin janvier 1764 le souci de la santé de Jeanne le minait. Jeanne s’étiolait, s’épuisait, elle maigrissait à faire peur et ses larges jupons faisaient difficilement illusion. Ses joues qui se creusaient, ses mains transparentes, son teint gris, ne trompaient plus personne, et surtout pas le cher bonhomme . Il semblait bien qu’en elle la fatigue l’eût finalement emporté. Elle s’entêtait pourtant à vouloir changer les choses et les gens. Elle parlait encore parfois à son frère de mariage malgré ses refus constants. Il s’agissait toujours d’alliances aussi prestigieuses qu’utopiques. Elle visait trop haut, trop grand, et quand même la chose aurait été possible Abel lui avait de longue date signifié pourquoi il n’en voulait pas. Elle insistait, mais si peu maintenant, elle était devenue moins convaincante dans son discours favori. Était-elle sur la voie du renoncement ? Peut-être. Pourquoi ? Mais Jeanne ne pouvait renoncer à tout. Abel ne ferait pas le mariage espéré. Soit. Il pouvait par contre envisager mieux que sa charge de Directeur de Bâtiments. Pourquoi ne pas briguer la survivance de monsieur de Saint-Florentin ? Ministre d’État, secrétaire à la Maison du Roi, le titre n’était-il pas enviable ? Abel n’y songeaitpas. Ou le ministère de la Marine après Machault ? C’était encore non. Les arguments fusaient et faisaient mouche. Saint-Florentin pouvait vivre encore vingt-cinq ans, où serait l’intérêt de cette survivance ? Quant à la marine, c’était tout net, Marigny n’y connaissait rien. Le refus était sans appel. La vraie raison, Marigny ne la dirait pas. Il aimait les Bâtiments, il était passionné par le renouveau de l’art, il voyait déjà le futur visage de Paris, et comme Cochin aimait ses peintres, ses sculpteurs, il aimait ses architectes aussi caractériels fussent-ils. Il avait aussi le sentiment d’être utile au roi dans cette tâche et de lui rendre ses bontés en s’y appliquant. C’était le seul travail qu’il dominait, il y avait été préparé et ne cessait de s’y investir. D’autres sans doute pouvaient faire quelque chose avec des bateaux, pas lui ! Là où il était, il se sentait à sa place. Il n’ambitionnait rien d’autre. Il l’avait noté, Jeanne cédait plus vite devant son raisonnement, et ce n’était pas pour le rassurer. Jeanne était moins mordante. Elle vieillissait, c’était incontestable. Elle avait pourtant seulement quarante-deux ans. Alors Abel commença à s’affoler. Comment pouvait-elle être vieille à quarante-deux ans ? Brutalement il pressentit l’échéance qui le laisserait vraiment orphelin.

L’hiver avait été particulièrement rigoureux, Jeanne l’avait mal supporté. En février lorsque la cour prit le chemin de Choisy le froid et l’humidité ne désarmaient pas. Jeanne non plus. Elle n’avait pas l’habitude de céder, ce n’était pas un hiver qui aurait raison d’elle. Elle suivit la cour à Choisy qui n’était pas un lieu confortable. Il y faisait froid, beaucoup plus que dans son appartement de Versailles, sa toux maintenant chronique s’intensifia, son visage marqua la fatigue. Elle luttait, c’était sa nature et c’était un principe. Elle présida chaque soir le repas aux côtés du roi jusqu’au 29 février où elle s’écroula dans son salon de compagnie. On se précipita, on s’affola, un valet dut l’aider à regagner sa chambre. Pour la première fois elle ne serait pas au souper. Une pneumonie la terrassait. Elle crachait le sang, la fièvre la consumait. Elle était au plus mal et ne pouvait plus le cacher. Abel accourut. Surpris ? Il avait conscience depuis longtemps

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