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Le rêve de Marigny

Le rêve de Marigny

Titel: Le rêve de Marigny Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Monique Demagny
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qu’elle était dangereusement malade. Devait-il s’attendre à une conclusion tragique ? Non. Abel n’était pas près d’accepter la fatalité pour Jeanne. La maladie ? Demain. Plus tard.
    Dans le monde d’Abel il y avait Jeanne pour l’éternité. Il vint chaque jour à Choisy, s’affola d’une fièvre qui s’incrustait, d’une toux intolérable, se réjouit aussi vite d’un semblant d’accalmie. Abel avait peur. Abelespérait. Jeanne était soignée le mieux du monde par François Quesnay, le médecin du roi. Il la guérirait, c’était le meilleur médecin du temps. Quesnay avait beaucoup d’estime pour Marigny, il ne souhaitait ni le désespérer ni le bercer d’illusions, il nuançait son discours. Abel n’entendait que ce qu’il voulait entendre de ses propos prudents. S’il y avait seulement une once d’espoir il était résolu à s’y accrocher.
    Le mois de mars passa dans les plus grandes alarmes. Le 10, Quesnay se résolut à avertir Marigny que l’état de Jeanne était désespéré. C’était fini, il fallait affronter la vérité. Non. Abel s’agrippait encore à la plus infime espérance. Le 24 mars, il avait gagné son pari insensé, Jeanne allait mieux, elle se prétendit guérie. Elle allait si bien qu’elle décida de rentrer à Versailles. Elle n’eut aucun mal à convaincre son médecin, elle aurait plus de confort dans son appartement. Quesnay approuvait son déplacement ? C’était bon signe. À moins que le sage Quesnay ne fût persuadé que, retour ou pas, cela ne changerait pas grand-chose à l’échéance qui se profilait. Abel fut un instant réconforté par ce retour à d’apparentes normes. C’était bien de Jeanne de revenir comme de rien du seuil de la mort ! Y croyait-il ? Au moins il essayait. On souffla un peu.
    Le 7 avril, Jeanne fut victime d’une rechute foudroyante. Elle souffrait tant qu’elle ne pouvait rester allongée et se calait inconfortablement dans un fauteuil pour garder l’ombre d’un souffle. Le roi passait de longs moments auprès d’elle, Abel aussi. Jeanne ne cédait pas encore tout à fait, elle s’assura que ses affaires étaient en ordre et ajouta encore un codicille à son testamentle 14 avril. Le même jour elle fit ses adieux au roi et dans la nuit reçut l’extrême-onction. Le 15 au matin, c’était le dimanche des Rameaux, Abel rendit visite à Jeanne pour la dernière fois. Jeanne avait préparé cette entrevue de façon un peu solennelle. Aux côtés d’Abel qui allait hériter de sa fortune, elle avait appelé le prince de Soubise, son exécuteur testamentaire, et le duc de Choiseul, ministre de la Guerre, son ami de longue date. Ces adieux qui n’étaient pas tout à fait intimistes ne constituaient-ils pas une dernière leçon au petit frère ? Il était indécent de s’émouvoir en public, le public même restreint éviterait les larmes et l’attendrissement. On n’a jamais fini d’éduquer ses enfants. Abel se contint et demeura impassible, il lui accorda cette dernière joie dérisoire de voir comme elle avait fait de lui un homme. Enfin Jeanne pria ses derniers visiteurs de la laisser avec ses femmes et son confesseur. Abel s’éloigna à grands pas pour aller sangloter loin des regards. C’était fini. Jeanne venait de le quitter. Il n’y avait plus que le vide.

Jeanne était partie. Son absence était insupportable. Ce n’était pas la première fois qu’elle le quittait et il connaissait bien la morsure de cet abandon, il l’avait expérimentée. La première fois qu’il avait été confronté à ce manque, il n’était encore qu’un enfant mais Jeanne déjà était le pivot autour duquel sa vie s’orientait. Cette fois elle venait de s’effacer définitivement, en silence, entre deux dernières quintes de toux. Il allait continuer seul, et c’était trop tôt, et c’était trop dur.
    Les deux premiers jours de son deuil, il y eut le branle-bas des obsèques pour cacher tant soit peu le gouffre qui venait de se creuser. Le 17, l’office funèbre fut célébré dans l’église Notre-Dame-de-Versailles toute tendue de noir et le scandale de sa solitude y éclatait. L’église était pleine. Il reconnaissait dans la foule ceux qui avaient aimé Jeanne telle qu’en elle-même, Quesnay, Choiseul, madame du Hausset… Il y en avait d’autres, beaucoup d’autres. Il y avait ses propres amis, ses indéfectibles amis, Soufflot, Cochin. L’abbé Le Blanc était venu, au moins par

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