Le rêve de Marigny
donne quelques pistes.
Marigny ne dit mot. Il attendit. Il connaissait son Cochin par cœur, il allait ménager ses effets.
— Je pourrais vous proposer les quatre saisons…
Marigny sourit. Cochin était bien trop malin pour une solution aussi conventionnelle.
— … Les quatre éléments… Ce sont des sujets rebattus. Une idée m’est venue en m’appuyant sur les ornements qui meublent déjà la galerie. Ils sont tous militaires. Alors quatre scènes tirées de l’ Iliade …
— Pourquoi pas ?
Cochin fit la grimace.
— La guerre est une entreprise qui vise à la destruction du genre humain.
Marigny aurait ajouté que c’était aussi une aventure qui absorbait l’argent qu’on aurait pu attribuer plus utilement aux Bâtiments.
— N’est-il pas plus convenable de représenter les actions généreuses des rois ? Je vous propose de représenter des actions pacifiques qui ont fait la gloire d’Auguste, de Trajan, de Titus, et de Marc-Aurèle.
— Je suis enchanté de ce projet, donnez-moi le détail.
Pour chacun des empereurs romains, Cochin avait relevé un fait qui mettait en lumière son humanité. Marigny tiqua un peu sur Titus. L’exemple choisi, une profonde émotion après le massacre de Jérusalem, ne lui plaisait pas. L’empereur avait beau jeu de se permettre des bons sentiments, il avait quand même fait un carnage ! On discuta. Cochin eut recours à Suétone,Marigny cita l’historien Flavius Josèphe. Ce n’était que le contentement d’un débat entre gens cultivés. Bien sûr les deux hommes trouvèrent vite l’anecdote adéquate. La controverse, c’était pour le plaisir.
— Il reste à savoir quels peintres nous pourrons retenir pour l’exécution de la commande du roi.
— Je vous propose monsieur Carle Van Loo, monsieur Boucher, monsieur Vien, monsieur Deshays.
— Monsieur Pierre ?
— Je pourrais vous dire qu’il est surchargé de travail, et c’est le cas, je préfère être franc. Les talents de monsieur Pierre sont grands, mais…
— Mais ?
— Je ne pense pas qu’on puisse attendre de lui assez de correction dans le dessin, assez de précieux dans l’exécution pour ces tableaux.
Marigny l’avait éprouvé depuis longtemps, le jugement de Cochin était redoutable. Il était aussi toujours diablement juste. En matière d’art Cochin faisait mouche à tout coup.
— Mettez-moi cela en route au plus vite.
Pour faire bonne mesure, au cas où les Bâtiments lui auraient laissé du loisir, Marigny avait résolu d’aménager Ménars à sa mode pour en faire sa demeure. Il aimait les maisons avec passion, ne se lassait jamais de les aménager, mais il avait une tendresse particulière pour Ménars. C’était la dernière acquisition de Jeanne, tout récemment en 1760, elle en faisait grand cas et avait aussitôt entrepris de faire transformer son nouveau château. Elle en avait chargé Gabriel. Quelle lubie avait-elle encore eue là ? Jeanne décidément avait toujours été imprévisible ! Elle était plus que toute autre attachée à l’évolution de l’art, elle l’encourageait, elle la suscitait, toujours en avance d’une mode, mais paradoxalement, appliquée de tout temps à se couler dans le moule étroit de la cour, elle était restée attachée aux symboles, aux gloires patentées et reconnues dont lui-même faisait peu de cas. Ce trait restait pour Abel une énigme. Personne plus qu’elle n’avait mis autant d’énergie à chasser le rococo, à faire émerger les nouvelles formes, et pour refaire sa maison elle allait quérir les vieilles lunes !
Pour être sincère Marigny devait reconnaître que son vieil ennemi avait fait du beau travail. Il avait avec une grande élégance accolé deux nouvelles ailes à la bâtisse pour remplacer celles du XVII e siècle, et pour briser l’uniformité de la façade il les avait couvertes de deuxtoits plats à l’italienne. L’effet en était heureux. Toutefois ces toits élégants avaient l’inconvénient inhérent à un toit plat sous le ciel changeant de la Loire. Le printemps était-il pluvieux ? Les toitures favorisaient des engorgements et des filtrations dans les planchers et les plafonds. Marigny ne s’en réjouissait pas, il constatait simplement que le Premier Architecte n’était pas infaillible. C’était presque rassurant.
L’œuvre de Gabriel ne s’arrêtait pas là, car l’homme avait du talent. Il avait enrichi la bâtisse de deux pavillons de
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