Le rêve de Marigny
chaque côté de la cour d’honneur. Le pavillon de l’horloge renfermait les cuisines reliées au château par un souterrain, on ne mangerait pas froid à Ménars comme souvent à Versailles. Le pavillon du méridien lui faisait face, il abritait la conciergerie. L’Architecte du Roi enfin avait remanié l’aménagement intérieur. C’était… superbe ! Oui… Un peu conventionnel ? Vieilli déjà ? Comme Jeanne, Marigny pensait qu’il fallait vivre avec son temps, mais il allait plus loin et préférait encore un temps d’avance ! Ménars en serait le témoignage et Soufflot était de toute évidence l’homme de cette affaire-là.
Ce n’était pas pour autant que Marigny allait le lâcher le temps d’un dessin, le temps d’une esquisse. Il l’entretenait de ses travaux, à tout propos, à tout instant, et comme il oubliait toujours un détail il poursuivait l’architecte qui venait de le quitter avec un message griffonné qu’il lui faisait porter en toute hâte. Le moindre aménagement était nécessairement de la dernière urgence. Comme il l’avait fait pour sa maison du Roule Marigny accumulait les exigences dans les détails lesplus infimes, discutaillant pied à pied avec l’architecte qui ne se laissait pas entraîner là où il ne voulait pas aller. Dans le même temps il lui donnait subitement carte blanche pour une tranche importante de travaux. C’était à y perdre ses repères et il fallait bien être Soufflot pour ne pas se laisser noyer dans le flot de l’enthousiasme brouillon de Marigny. Méticuleux pour les Bâtiments, il avait pour ses propres projets une déconcertante effervescence. Il y eut des enthousiasmes partagés, il y eut aussi des désaccords, Soufflot n’était pas près de se laisser embarquer à nouveau dans une affaire comme celle des colonnes de l’Opéra. À les écouter débattre, le projet d’aménagement pouvait paraître confus. Erreur ! Ces deux-là ne savaient pas vivre dans une prudente mesure, ils étaient passionnés, excessifs, mais ils se comprenaient, se devinaient, et finalement se complétaient. Jacques-Germain Soufflot traduisait et exprimait en langage architectural les ambitions et les rêves de Marigny.
À leur tour, après Jeanne, Soufflot et Marigny transformaient Ménars. Pour donner une nouvelle harmonie à l’ensemble l’architecte doubla le corps du logis d’une construction nouvelle en rez-de-chaussée couverte par une terrasse, atténuant ainsi l’effet de saillie un peu brutale provoquée par les pavillons centraux. Il dota aussi les ailes de Gabriel de combles à la française. La cohérence des constructions atteignait la perfection. L’entreprise demandait du temps mais Marigny ne savait pas attendre. Le problème fut vite résolu, on y mit du monde ! L’entrepreneur de bâtiments Jacques-Louis Hue, qui se chargeait du chantier, engagea une armée de maçons limousins, et l’effervescence fut constante. Marigny s’échappait très souvent pour ne rien perdre de l’évolution des travaux. Bien sûr il entraînait Soufflot au passage.
— Ce n’est pas tout, Soufflot !
Soufflot sourit. Quelle était la dernière idée de Marigny ? Une autre transformation ? Un autre bonheur ! Il aimait travailler avec le Directeur des Bâtiments qui imaginait si bien les choses. Ils savaient si bien s’atteler au même rêve et avancer dans la même exaltation.
— Venez…
C’était d’intérieur qu’il s’agissait ce jour-là. En un instant ils furent dans le vestibule.
— Il faut me construire ici un escalier…
— Il y en a un, s’amusa Soufflot.
— Non, il faut autre chose… Pas quelque chose de monumental…
Marigny cherchait à préciser pour lui-même sa pensée.
— Une construction sobre, mais quelque chose de beau… avec de l’allure, de la noblesse. Cet escalier ne montera qu’au premier étage, et…
— Et ?
— Dans votre élan vous aménagerez à l’étage ma bibliothèque. L’escalier y mènera tout droit.
Marigny affichait un air ravi. C’était comme s’il avait déjà son escalier et sa bibliothèque. Soufflot qui autant que lui avait la passion des livres se délecterait à cet ouvrage.
On n’allait pas s’arrêter là. Marigny aimait les jardins. Ce n’était pas pour lui un art mineur que celui des espaces qui enchâssent une construction. Le parc qui entoure une demeure en est l’écrin. Il la glorifie. Il n’y a aucun doute, cela restait du ressort de
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