Le rêve de Marigny
ne releva pas le trait, le message peut-être ambigu. Son esprit déjà vagabondait vers les délices d’une union sans nuages. Jeanne avait bien raison de le pousser au mariage ! Il ne cherchait surtout pas à savoir si Jeanne aurait choisi Julie.
Cochin, tête baissée, sourcils froncés, marchait à longs pas en s’éloignant de la maison du Roule. Il ne sentait pas bien ce mariage. La demoiselle était trop… enfin, pas assez… Tout ce qu’on pouvait lui reconnaître c’était qu’elle était diablement habile. Elle allait sans doute possible tirer son épingle d’un jeu où Marigny risquait fort d’être dupe. Fille du roi ? Rien n’était moins sûr ! Et si cela était, ce n’était pas pour éblouir Marigny. Non, Abel Poisson, séduit brusquement parl’état matrimonial, épousait Julie Filleul, c’était tout. Peu lui importait de qui elle était la fille. Le roi ne désapprouvait pas cette union. Il signerait le contrat de mariage. Était-ce un signe ? Julie seule, et sa mère, mais en cette affaire elles ne faisaient qu’une, laissaient planer le doute. Elles suscitaient les questions et faisaient mine de n’y pas répondre. Ce n’était pas le roi qui démentirait, tout le monde savait qu’il avait connu madame Filleul. S’en souvenait-il seulement ? Le parcours de la dame avait connu des chemins de traverse. Cochin doutait. Il avait pourtant une certitude, la promise et sa mère étaient de grandes rouées dont Marigny serait avisé de se méfier.
Marigny lui avait annoncé l’événement avec un plaisir évident. Il était tout glorieux, lui qui ne l’était jamais.
— Je me marie, Cochin, le contrat sera signé le 8 décembre.
On était à la mi-novembre, il avait rencontré les femmes Filleul au début de l’été. Les choses étaient allées grand train. C’était à croire qu’Irène du Buisson de Longpré, épouse de François Filleul, était pressée d’établir sa fille. Elle songeait sans doute que derrière celle-ci il lui en restait une autre, le mariage de l’une, pour peu qu’il fût assez prestigieux, aiderait peut-être celui de la seconde. Marigny était marquis, que ce soit de fraîche date importait peu, le titre était là. Il était riche, c’était une qualité incontestable. Il était l’ami du roi, c’était encore mieux. Pouvait-on espérer meilleur mariage quand on était née Filleul ? Les bruits qu’on laissait courir n’avaient pas valeur de légitimation, ilétait temps de prendre un établissement. Cochin remâchait tristement sa bile. Les dames Filleul faisaient à n’en pas douter une affaire, Marigny y trouverait-il son compte ? Et c’était là que le bât blessait le petit Cochin qui connaissait si bien son Marigny. Cochin était grognon. Peut-être y avait-il de sa part un peu d’égoïsme à bouder ce mariage ? Qu’en serait-il de la belle amitié née en Italie ? Marigny, Soufflot, Cochin ? Le mariage allait tout casser. Jamais on n’aurait pu supposer que Marigny qui y avait toujours renâclé se laisserait mettre la corde au cou avec tant de facilité ! Ce n’était pas Soufflot qui se marierait ! Il avait déjà assez de charge avec ses neveux et il se devait à son œuvre. Quant à lui-même… On rirait bien si Cochin se mariait !
À vrai dire Marigny était tout étonné lui-même de se retrouver au seuil du mariage. Ce Marmontel aurait-il donc fait son bonheur alors même qu’il n’y songeait pas ? Pour être tout à fait sincère il n’avait guère été séduit par Julie lors des premières rencontres. Marmontel pourtant ne cessait de vanter ses charmes.
— Cette petite Julie a autant d’esprit que de beauté !
— Où voyez-vous cela, Marmontel ?
— C’est l’évidence.
— Vous êtes amoureux !
— Pas le moins du monde, je dis ce que je vois.
— Épousez-la !
— Hélas…
— Hélas ?
— Je ne suis pas un parti pour elle !
— Le directeur du Mercure de France ? Le secrétaire de l’Académie ?
— Ces titres sont surtout honorifiques.
— Allons, Marmontel, vous n’allez pas pleurer misère !
— Non, mais je reste lucide. Madame Filleul voit plus haut.
Marigny se souvenait bien de ces conversations. Il haussait les épaules, il faisait semblant de ne pas comprendre et s’esquivait. Toutefois le clan Filleul-Marmontel gagnait du terrain. Jamais il n’avait signifié une fin de non-recevoir, glaciale et définitive comme il savait si bien le
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