Le rêve de Marigny
Marigny attendait de son mariage.
Le mariage d’Abel et de Julie ne fut vraiment chose concrète que dans le temps neutre, un peu décalé, qui suivit la belle effervescence des mondanités. La réalité des choses ne fut guère palpable qu’après le flot des félicitations tombant en averse sur les mariés, après les gâteaux et le vin de Champagne, après le départ des autres, quand l’agitation fut retombée et que la griserie des honneurs se dissipa. Julie venait de réussir une extravagante ascension sociale, Abel avait pu exhiber une très jeune épouse sur fond de château fraîchement rénové, chacun avait relevé son défi. Le temps était venu d’assumer ce qui peut-être avait découlé d’un hasard des circonstances plus que d’un choix véritable.
La réalité se révéla tout abruptement avec le départ du dernier invité. Marigny se retrouvait dans sa maison mais il n’y était plus seul pour y jouir de sa tranquillité et Julie appréciait peut-être modérément de n’être pas partie avec les siens. Il n’y avait plus qu’à continuer de vivre, si possible ensemble et en bonne harmonie, et ce n’était pas vraiment assuré.
Abel et Julie ne se connaissaient pas, le cas n’était pas une exception, et une génération les séparait, sans être rare c’était beaucoup. La disparité des motivations qui les avaient conduits à l’état matrimonial était un fossé qui serait difficile à combler, ils étaient pourtant brutalement isolés dans leur superbe château de Ménarsdans un face-à-face qu’il allait falloir maîtriser. Ménars même les séparait, les opposait peut-être. La valeur symbolique du lieu était énorme pour Abel, elle était neutre pour Julie, mais ni l’un ni l’autre n’étaient prédisposé à faire retraite ensemble à la campagne. Abel avait une passion pour Ménars mais le plus clair de sa vie n’avait jamais eu pour cadre que Paris et Versailles et bien qu’il sût d’expérience comme il est parfois difficile de vivre en ce pays-ci les soupers dans les petits cabinets, c’était quand même autre chose que le tête-à-tête avec une épouse encore adolescente à qui il n’avait rien d’autre à dire que quelques fadaises convenues. Le nouveau marié aurait pu s’évertuer à une galanterie de bon aloi mais ce n’était pas son angle d’approche habituel avec les femmes. Les danseuses, les comédiennes lui étaient tombées dans les bras sans effort. Il n’en était pas amoureux. Chaque fois qu’une femme avait compté pour lui, quand au-delà de la vanité et du plaisir son cœur avait battu la chamade, la dame était son aînée. Comme Jeanne ?
Comment aurait-il été vraiment amoureux de Julie, quand bien même il s’efforçait de s’en persuader ? Il avait rêvé de mariage, d’un mariage à la Marmontel, bourgeois, moral, et Julie s’était trouvée là habilement propulsée en travers de son chemin. Pourquoi pas ? Il arriverait bien à se débrouiller d’une situation des plus normales. Julie n’était pas davantage préparée à cette intimité dans un désert qui lui fut proposée dans les jours qui suivirent le mariage. Elle ne connaissait que Paris, et pour comble elle n’avait jamais quitté sa mère plus d’une demi-journée. La vie conjugale pouvait luisembler peu attrayante. Elle ne s’était pas résolue à quinze ans à épouser un « vieux » marquis de quarante ans pour végéter au milieu des champs, et ne s’intéressait guère au décor somptueux qui l’entourait. On lui avait rapporté que dans sa jeunesse son époux avait été des plus séduisants. Vraiment ? Elle n’était pas née ! Le mari qu’on lui avait trouvé n’avait plus rien de fringant, c’était un homme à la silhouette lourde que les bals depuis longtemps n’amusaient plus. Allons ! C’était tant mieux, elle irait seule. Les seuls attraits de cet époux qu’elle jugeait « épais » étaient sa fortune, son titre, et la faveur que le roi lui accordait sans défection depuis de longues années. Julie, à le regarder, se demandait d’ailleurs pourquoi. Il y avait des compensations au peu de séduction de l’époux, elle était maintenant marquise, elle aurait ses entrées à la cour, voilà où le mariage commençait à être attrayant, il lui tardait de faire ses premiers pas à Versailles. Ce n’était que justice quand on était née… Elle n’en dirait pas plus !
Dans l’immédiat les époux devaient faire
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