Le roi d'août
d'autant qu'il ne pouvait s'ouvrir à personne de la raison précise pour laquelle il redoutait à ce point le trépas. Il savait qu'on le traitait de lâche derrière son dos, il en souffrait, mais il n'y pouvait rien.
Lorsqu'il apprit presque simultanément la captivité de Richard et la visite prochaine de Jean sans Terre à Paris, quelque chose se débloqua. Sa volonté bandée depuis des semaines parvint enfin à dresser un voile entre lui et l'angoisse, trop fin pour que cette dernière fût oubliée mais assez épais pour autoriser un peu de réflexion, d'action.
— Mon oncle, vous allez vous rendre immédiatement auprès de l'empereur ! ordonna-t-il à Guillaume aux Blanches Mains durant un conseil convoqué à la hâte, sitôt connues les infortunes du souverain anglais. Vous l'assurerez de mon amitié renouvelée et le féliciterez de sa prise. Ensuite, vous lui exposerez toutes les méchancetés dont s'est rendu coupable Richard en Terre Sainte, sans omettre la tentative d'empoisonnement contre ma personne ni le danger qui me menace encore aujourd'hui, et vous saurez lui faire admettre qu'on ne peut relâcher à la légère un être aussi malfaisant lorsqu'on a la chance de le tenir en son pouvoir. Si Henri désire à toute force en tirer rançon, je le supplie de m'accorder la préférence.
— Cette démarche ne risque-t-elle pas d'être interprétée comme une rupture de votre vœu, sire ? protesta l'archevêque.
Philippe secoua la tête.
— J'ai attendu que Richard ait quitté la Terre Sainte et je lui ai laissé un délai suffisant pour rentrer en Angleterre. Est-ce ma faute s'il s'est fait piéger tel un enfant ? À présent, mon vœu est caduc.
— Pas dans l'esprit, insista Guillaume.
— Peu me chaut l'esprit ! En matière de loi, seule compte la lettre et, à cet égard, même le pape ne saurait rien me reprocher.
Le tic qui animait la lèvre du roi, en s'intensifiant, dissuada le prélat d'insister.
— Quel montant m'autorisez-vous à proposer pour une éventuelle rançon ? s'informa-t-il, vaincu.
— Si je lui offre cinquante mille marcs, il en voudra cent. Laissons-le fixer son chiffre ; nous discuterons ensuite. Je compte de toute façon sur certain prince pour m'aider à payer. (Sans transition, Philippe enchaîna :) Et que deviennent vos recherches matrimoniales, monseigneur ? Vous aviez évoqué une princesse danoise, ce me semble ?
L'archevêque réprima un sourire satisfait : enfin, son neveu retrouvait le goût de la politique.
— Et j'ai pris la liberté de faire venir un homme qui vous en parlera bien mieux que moi : Guillaume d'Aebelholt, de l'abbaye Sainte-Geneviève, désormais chargé du monastère de Saint-Thomas-du-Paraclet, au Danemark. Voilà trois jours qu'il se tient à votre disposition.
— Que ne m'en avez-vous parlé plus tôt ? s'emporta à demi le roi. À quoi rime de faire attendre cet homme alors que l'affaire qui l'occupe est de la plus extrême urgence ?
Guillaume aux Blanches Mains baissa la tête pour masquer sa grimace : il avait annoncé la nouvelle en temps et en heure ; simplement, on ne l'avait pas écouté, à peine entendu. Il n'estima pas nécessaire de rétablir la vérité.
— Veuillez me pardonner, sire, déclara-t-il. Je puis faire quérir l'abbé d'Aebelholt à l'instant, si vous le désirez.
Tandis qu'il donnait des ordres à cet effet, le roi rappela à ses autres conseillers pourquoi une telle union profiterait à la France. Le Danemark possédait sur la couronne d'Angleterre des droits ancestraux qu'il semblait peu décidé à exercer. Sans doute serait-il aisé de convaincre le roi Knut de les céder à son beau-frère, en guise de dot pour sa sœur. Et une fois que Philippe aurait une raison légitime, inattaquable, d'envahir la terre de l'usurpateur Plantagenêt, le Danemark lui fournirait en outre la flotte nécessaire.
Guillaume d'Aebelholt se présenta devant le souverain en compagnie du frère Bernard de Vincennes. C'était un homme âgé à la mise des plus simples, bien qu'il eût été chanoine de l'abbaye Sainte-Geneviève. Une grande humilité se lisait sur le visage ridé et bienveillant de ce religieux qui avait consacré son existence aux pauvres et aux malades : le monastère qu'il dirigeait constituait, disait-on, un des plus grands hôpitaux du Danemark. L'abbé possédait en outre des talents de diplomate qui lui avaient souvent valu de négocier pour le compte de la France
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