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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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savait ce qu'on lui reprochait, d'ailleurs.
    Ce fut le deuxième jour de décembre finissant (7) que, pour la jeune reine, tout bascula.
    Il avait fait beau, ce jour-là. Quoique le paysage alentour fût encore couvert d'une neige épaisse, le soleil avait si bien brillé que l'air s'en était trouvé durant quelques heures moins glacial et moins humide dehors qu'entre les murs épais de l'abbaye. Isambour avait passé la plus grande partie de l'après-midi à arpenter le cloître, disant son chapelet ou simplement songeant, coulant parfois vers les portes et le mur d'enceinte des regards chargés d'envie mais sans espoir.
    Le soir, engourdie d'une saine fatigue, elle s'était couchée tôt et, pour la première fois depuis des semaines, n'avait pas eu de mal à s'endormir. Elle dormait encore quand les cloches de la chapelle sonnèrent Complies (8) ; leur chantant vacarme la plongea dans un rêve délicieux, un couronnement durant lequel son mari se tournait vers elle et lui tendait les mains, souriant. Il n'était pas si laid quand il souriait, on retrouvait même sur son visage les traces fort nettes de la beauté qui, à en croire tout un chacun, était sienne avant sa maladie.
    Isambour avait vaguement conscience de rêver mais elle choisissait de ne pas s'en préoccuper, jouissait sans honte de ce fantasme plus beau que la réalité. D'un coup, cependant, il se modifia du tout au tout. Le visage de Philippe perdit sa bienveillance et s'anima d'un millier de tics, tandis que ses mains enserraient brutalement la gorge de son épouse – laquelle s'éveilla en sursaut avec l'impression d'étouffer.
    Au soulagement initial succéda une panique dont elle n'avait jamais connu l'équivalent. Une main qui lui parut gigantesque la bâillonnait, une autre pesait sur son épaule pour la clouer au lit. La maigre lueur que distillait la lune à travers le papier huilé de la fenêtre permit à la jeune femme de distinguer une haute et massive silhouette penchée sur elle.
    Sa première pensée fut que, lassé d'attendre qu'elle se résignât, son époux s'était décidé à la faire assassiner. Puis elle comprit que tel n'était pas le cas : l'homme qui la maintenait eût pu la tuer aisément pendant qu'elle dormait.
    — Je ne te veux aucun mal, dit-il d'une voix profonde. Je vais te lâcher, à présent. Tu ne crieras pas.
    Et de fait, lorsqu'il la laissa libre de ses mouvements, elle ne songea pas à appeler. Appeler qui, de toute façon ? Les moines dormaient de l'autre côté de la cour intérieure. Mais surtout, ses craintes s'étaient évanouies, soufflées comme une flamme par la bourrasque, en donnant naissance à un espoir insensé.
    L'inconnu avait parlé danois.
    L'esprit encore embué de sommeil, elle se demanda qui il était, chercha que lui dire. Elle le devina qui gagnait l'âtre où rougeoyaient des braises. Leur lueur lui révéla un bras nu en approchant une brindille, la retirant enflammée et s'en servant pour allumer une chandelle. L'obscurité recula vers les angles de la chambre, tandis qu'un halo doré nimbait l'étrange visiteur. Isambour, en le découvrant tout entier, porta la main à sa bouche pour retenir un cri de frayeur.
    Il était bâti en hercule, paraissait de taille à la casser en deux d'une seule main, mais ce n'était pas cela qui l'effrayait. Sa peau sombre, sa barbe et ses cheveux noirs lui donnaient des allures de Sarrasin plus que de Danois, mais cela non plus n'inquiétait pas la reine.
    Le problème était son entière nudité. Sans même se soucier de pudeur, voilà qui rendait sa pertinence à la question de ses intentions. D'instinct, la jeune femme remonta les couvertures jusqu'à son menton et les y maintint fermement.
    L'inconnu sourit. Être nu ne semblait ni le gêner ni le faire souffrir du froid.
    — Pardonne ma tenue légère, dit-il, mais le moyen que j'ai employé pour te rejoindre ne m'en a pas autorisé d'autre. (Il désigna une malle ouverte, contre un mur.) Si tu le permets, je vais chercher là-dedans de quoi me rendre décent à tes yeux.
    Il parlait familièrement mais sans mépris, un peu comme on s'adresse à un membre proche de sa famille. Ce qu'il disait fit naître en Isambour une autre question : comment était-il venu ? Sans doute il avait escaladé le mur d'enceinte de l'abbaye, mais pour le reste… elle avait verrouillé sa porte de l'intérieur ; sa fenêtre était intacte.
    S'emparant d'une chemise, l'homme la noua autour de sa taille. Le

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