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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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peser sur ses épaules ce savoir qu'il possédait à son corps défendant et ne pouvait partager avec personne. À Renaud, il n'avait pu se confier. À Isabelle, il n'avait pu se confier. À aucun de ses confesseurs, il n'avait pu se confier. À Agnès, il se confia, il ne cacha rien, et il en éprouva un indicible soulagement.
    Lorsqu'il eut terminé, sans qu'elle l'eût interrompu une seule fois, sans qu'elle eût fait plus que frissonner par moments, elle lui prit le visage entre ses mains et lui donna un long baiser.
    — Merci, souffla-t-elle. Merci de me l'avoir dit. C'est la plus belle preuve d'amour que tu m'aies jamais donnée.
    — Je ne te fais donc pas horreur ? s'étonna-t-il, comme naguère, dans la forêt – il y avait déjà quatre ans. Je descends d'une de ces créatures, Agnès. Je ne suis pas vraiment un homme.
    — Et que m'importe, à moi, que tu sois un homme, un dieu ou un démon ? renvoya-t-elle, les larmes aux yeux. Tu es Philippe. Mon amant. Le père de mes enfants. Je continuerais de t'aimer si tu étais le Diable en personne.
    Sans le laisser répliquer, elle l'embrassa avec avidité, lui rendit vivement de la main toute la vigueur nécessaire, puis l'enfourcha et s'empala sur lui. Quoique ce fût leur deuxième étreinte en peu de temps, tous les deux atteignirent très vite un plaisir brutal. Ils demeurèrent ensuite dans les bras l'un de l'autre, les lèvres jointes, les yeux mi-clos, à se dire qu'ils s'aimaient.
    — Pauvre fille, tout de même, soupira Agnès au bout d'un moment.
    Philippe n'eut pas besoin de lui demander de qui elle parlait.
    — C'est un monstre, objecta-t-il. Une…
    Son épouse lui ferma les lèvres d'un doigt.
    — Ce n'est pas plus un monstre que moi. Si c'en était un, tu en serais un aussi, et je te jure que ce n'est pas le cas. Alors si tu ne me dégoûtes pas, pourquoi te dégoûterait-elle ? (Accentuant la pression qu'elle exerçait sur sa bouche, elle l'empêcha de répondre.) Je sais pourquoi, bien sûr : à cause de Lysamour. Mais Isambour n'est pas Lysamour, Philippe. C'est une femme. Une femme qui souffre.
    — Elle est capable de se déplacer dans la terre, insista-t-il quand elle le laissa enfin s'exprimer. Je suis sûr de ne pas avoir rêvé, sur la rive de l'Epte. C'était elle. Elle est peut-être ici même, en train de nous écouter, dissimulée dans la muraille.
    S'il avait tendu l'oreille, il eût perçu un cri de surprise étouffé, à l'autre bout de la chambre. S'il avait levé les yeux, s'il s'était tourné vers le bon pan de mur, il eût perçu un mouvement. Ni lui ni Agnès, toutefois, trop occupés de leurs propos, ne remarquèrent rien.
    — Et toi, tu es capable de faire s'écarter les eaux comme Moïse, disait la jeune femme. Ça ne t'empêche pas d'avoir des sentiments, de même que n'importe quel homme.
    — Et l'âme ?
    — Si j'en ai une, toi aussi, sois-en sûr. Elle aussi.
    Un long silence s'ensuivit.
    — Tu penses que j'ai eu tort ? demanda enfin Philippe.
    Son épouse secoua violemment la tête.
    — Bien sûr que non ! Je pense que tu as été cruel et injuste avec elle, oui. Ça, j'en suis convaincue. Mais je remercie Dieu de cette cruauté et je bénis cette injustice. Sans elles, je ne t'aurais jamais connu. (Elle baissa les yeux, honteuse.) J'ai pitié d'Isambour mais pas au point de lui rendre sa place. C'est moi qui devrais te faire horreur.
    Il la serra plus fort contre lui.
    — Je te jure que je vais me battre, déclara-t-il. Je ne renoncerai pas à toi.
    Agnès eut un sourire triste.
    — C'est sans espoir. Le pape l'emportera tôt ou tard. Ce sont tes propres sujets qui te forceront à céder.
    — Je vais me battre, répéta-t-il.
    Un peu plus tard, il la laissa pour aller donner ses premiers ordres dans le cadre du combat qu'il entamait contre l'Église, contre Dieu. Car c'était bien de cela qu'il s'agissait, à présent. Agnès, avec sa vision simple du monde, lui avait ouvert les yeux. Il ne pouvait plus s'illusionner, se dire qu'il agissait pour la pureté de la dynastie, qu'il accomplissait secrètement la volonté du Créateur. Son dégoût d'Isambour était intact mais il le savait désormais irraisonné. S'il luttait, c'était pour lui, uniquement pour lui, pour ne pas chasser de ses bras celle qu'il aimait et pour tenir à distance celle qui lui répugnait.
    Petit à petit, les paroles de la jeune femme faisaient leur chemin en lui, l'idée qu'il avait une âme, qu'il en avait

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