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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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appartements. Certaines choses ne sont pas destinées à toutes les oreilles.
    Isambour, intriguée, les escorta jusqu'à la chambre du roi, bénissant l'épaisseur des murs qui lui permettaient de demeurer invisible.
    — Eh bien, ma mère ! commença Jean en se frottant les mains. Avez-vous compris ce que je désire apprendre ou dois-je vous l'expliquer ?
    — Que crois-tu savoir ? interrogea sèchement la vieille reine.
    Il eut un petit ricanement.
    — Habile, apprécia-t-il. Mais soit : j'accepte de jouer votre jeu. (Il se laissa tomber sur le lit et s'allongea, les mains derrière la nuque.) Ce que je sais tient en peu de mots et se rapporte à un incident survenu pendant mon enfance. J'avais cinq ou six ans, je crois. C'était à Chinon. Le vieil Henri était parti batailler je ne sais où et vous profitiez de son absence pour recevoir votre amant. (Aliénor tiqua.) Pas de telles gênes entre nous, je vous en prie : je ne vous reproche pas d'avoir trompé votre époux qui était une brute inhumaine, je souhaite juste que nous parlions franc. Ce jour-là, je m'étais caché dans votre chambre, par jeu, et je vous ai vue avec cet homme, en train de faire des choses que je n'ai pas comprises sur le moment mais qui devaient être à la réflexion bien agréables. Et à la réflexion aussi, une autre idée m'est venue : cet homme-là nous ressemblait diablement, à moi et à Geoffroy, nettement plus que nous ne ressemblions au vieux ou à nos autres frères…
    Il laissa sa phrase en suspens. S'il espérait que sa mère se troublât, il fut déçu.
    — Oui, acquiesça-t-elle. J'ai toujours pensé qu'il était votre père à tous les deux. Je ne peux pas en être sûre, bien entendu : à l'époque, Henri couchait déjà à droite et à gauche mais il honorait encore mon lit quand il n'avait rien de mieux à sa disposition – et particulièrement lorsqu'il sentait que cela me déplaisait. Même s'il ne t'a pas engendré, je crains que vivre dans son entourage ne t'ait conféré certains de ses traits.
    — Qui était-ce ? lança Jean, brusquement impérieux. J'ai le droit de savoir qui était mon vrai père, ce me semble.
    Aliénor poussa un long soupir.
    — En as-tu le droit ? Peut-être… Mais je ne te le dirai pas.
    Son fils fut sur ses pieds d'un bond et s'avança vers elle, menaçant.
    — Je saurai bien vous contraindre à parler, siffla-t-il.
    — Tu torturerais une vieille femme ? Ta propre mère ? (Elle haussa les épaules.) Ma foi, ça ne m'étonnerait qu'à moitié. Mais tu te damnerais en vain, mon pauvre Jean, si ce n'est déjà fait : cet homme a été mon amant pendant presque dix ans sans que je sache jamais son nom. Sans que je sache, en fait, quoi que ce soit de lui.
    — Vous vous moquez ?
    — Pas le moins du monde.
    — Était-il noble, au moins ?
    — Noble ? (Aliénor eut un long rire amusé.) Ah ça ! non, mon fils, il n'était pas noble. Tu commets, vois-tu, une erreur en parlant d'Henri comme d'une brute inhumaine. Brute, oui ; inhumaine, non. L'autre, en revanche, n'avait rien d'une brute. Et quoiqu'il ne me l'ait jamais dit en face, j'ai toujours soupçonné qu'il n'avait rien d'humain non plus.
    Jean se figea, les yeux écarquillés.
    — Qu'essayez-vous d'insinuer ?
    Elle lui révéla ce qu'elle savait, c'est-à-dire peu de chose. Cet homme, apparu une nuit dans sa chambre, l'avait séduite sans mal par le charme et la douceur, car elle ne ressentait plus alors que mépris pour Henri Plantagenêt. Ensuite, il était revenu régulièrement, presque chaque fois qu'elle dormait seule. Cette liaison demeurait une des grandes joies de son existence. Elle n'aimait pas réellement son bel amant mais elle prenait avec lui du bon temps – et pouvait tout lui dire, puisqu'elle n'avait pas de comptes à lui rendre. Cela avait quelque chose de rafraîchissant, de reposant.
    Un jour, il n'était plus revenu. Elle ne s'était pas demandé pourquoi : son miroir lui avait déjà soufflé la réponse. Au fil des dix ans passés, lui n'avait pas pris une ride, pas un cheveu blanc, alors qu'elle avait vieilli de plus en plus vite. C'était une des raisons qui lui avaient fait soupçonner sa nature. L'autre, c'était la métamorphose de ses yeux quand il l'aimait. Ils devenaient noirs. Entièrement noirs.
    — Je le savais, triompha Jean lorsque sa mère eut achevé. Voilà pourquoi je me suis toujours senti mal à l'aise dans les églises. Comment voudrait-on que le

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