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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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ses ordres ni à subir sa juridiction. La querelle qui l'opposait à Jean, de nature temporelle, ne regardait en rien la cour de Rome.
    Innocent n'insista pas : s'il eût aimé abaisser la superbe du souverain français, il ne pouvait en conscience défendre le Plantagenêt après sa conduite indigne envers ses prisonniers. Philippe emportait cette manche-là. Rassuré, il résolut d'en terminer avec l'obstacle principal à sa conquête et s'en alla mettre le siège devant ce Château-Gaillard dont le bâtisseur, Richard Cœur de Lion, avait été naguère si fier.
     
    Par une nuit de décembre, le roi Jean se fit conduire en barque à la grosse tour de Rouen qui dominait la Seine. Il était accompagné d'un dénommé Rhys, un mercenaire gallois d'une stature étonnante, dont l'épaisseur du crâne n'avait d'égales que la cupidité et l'absence de scrupules. Tant que son maître le paierait grassement, Rhys lui obéirait les yeux fermés.
    Pour l'heure, le Gallois ramait. Jean, debout au milieu de l'embarcation humide, regardait se rapprocher la noire muraille de la tour dans la nuit étoilée. Construit là pour défendre le port fluvial, le grand édifice avait abrité au fil des ans nombre de prisonniers n'en étant jamais ressortis. Il en abritait encore un ce soir-là – qui en ressortirait, lui. Le roi d'Angleterre venait expressément pour l'en faire sortir.
    Jean en avait assez. Philippe l'avait joué, ses vassaux l'avaient trahi, le pape lui-même renonçait à intervenir en sa faveur… Puisqu'il en était ainsi, il retournait à Londres, où sa suprématie n'était pas discutée. Mais auparavant, il lui restait une chose à faire, un projet dont il rêvait depuis des mois sans oser le mettre à exécution. Il lui semblait que cela le paierait de toutes ses humiliations.
    La nuit était glaciale. Lorsqu'il sauta sur le petit débarcadère aux pavés couverts d'une fine pellicule blanche, Rhys glissa et faillit perdre l'équilibre. Un juron sonore lui échappa, ce qui lui valut une admonestation sèche de son maître, à mi-voix. La garde avait ordre de demeurer invisible et de ne pas chercher à savoir ce qui se passerait dans la tour entre la minuit et Matines, mais elle n'en était pas moins présente : l'alerter, c'était prendre le risque d'être aperçu d'un soldat plus curieux que les autres, donner de la substance à une rumeur qui ne manquerait de toute façon pas de se répandre.
    La barque amarrée, le Gallois aida le roi à prendre pied sur la terre ferme. La lumière qui brûlait au rez-de-chaussée permettait de constater que les ouvertures en avaient été obstruées par des linges. Cette nuit-là, l'armée française tout entière eût pu camper dans la tour sans que nul s'en préoccupât.
    Sur un geste de Jean, Rhys, ouvrant la marche, monta l'escalier extérieur qui menait au premier étage, lequel ne communiquait pas avec le rez-de-chaussée. Poussant une porte aux verrous tirés, il découvrit une grande pièce seulement éclairée par le brasero qui rougeoyait en son centre. Le long d'un mur, un escalier fort raide permettait d'atteindre le niveau suivant. Avisant une torche enduite de poix laissée là à l'intention des visiteurs, le mercenaire la plongea dans les braises. Une fumée âcre, piquante, s'en éleva lorsqu'elle commença à brûler.
    Rhys, toujours suivi de son maître, gravit ces nouvelles marches sans hâte, de son pas lourd. Au deuxième étage, il s'arrêta devant une porte solide, renforcée de barres de fer, qu'on n'eût pas défoncée à moins de disposer d'un bélier. La clef, cependant, se trouvait dans la serrure.
    — Ouvre, ordonna Jean.
    Le Gallois obéit. Le pêne joua avec un claquement si sonore que le roi sursauta et regarda nerveusement derrière lui, l'oreille tendue. Une porte que nul n'avait songé à huiler pivota en grinçant lugubrement.
    Derrière, c'était l'obscurité. Le froid. Une atmosphère lourde, humide, où se mêlaient des odeurs de renfermé, de crasse et de déjections. C'était la prison d'Arthur de Bretagne.
    Quand Rhys s'avança, sa torche révéla une pièce carrée d'à peine plus d'une toise de côté, dépourvue de mobilier. Un tas de paille et de chiffons moisis, qui n'avait de couche que l'usage, voisinait avec une écuelle en bois fendue au fond de laquelle il eût été vain de chercher une miette de nourriture. Dans un angle, un pot de chambre renversé répandait sur les dalles ses répugnantes entrailles.
    L'être

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