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Le roi d'août

Le roi d'août

Titel: Le roi d'août Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Pagel
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chasuble brodée, les mains jointes et les yeux fermés, son frère Guillaume, archevêque de Reims, priait ou affectait de prier. On ne connaissait pas, depuis sa récente élévation au cardinalat, la moindre borne à sa piété. Non qu'il eût auparavant créé le scandale : ce petit homme réservé et astucieux n'avait jamais causé ni plus ni moins de bruit qu'il n'en fallait, et son habileté autant que sa naissance était responsable de ses hautes fonctions.
    Des trois autres frères composant la maison de Champagne, seul était là Thibaut, comte de Blois, que son état de sénéchal faisait grand officier de la couronne. L'aîné, Henri, comte de Troyes, se trouvait en Terre Sainte. Quant à Étienne, comte de Sancerre, son impulsive rébellion contre le roi restait trop fraîche dans les mémoires pour qu'il se présentât à la cour.
    Face aux Champenois, et affectant de les ignorer, s'était installé le clan capétien : Robert de Dreux, frère du roi mourant, encadré de deux de ses fils ; l'aîné, son homonyme, et Philippe, évêque de Beauvais. Un bien curieux évêque au demeurant : vingt-cinq ans, la tonsure négligée, portant bliaud plutôt que chasuble, il était connu pour préférer la distribution des horions à celle des hosties. S'il constituait une sorte de paroxysme, il n'était cependant pas seul de son espèce : comment exiger la dévotion de jeunes hommes dépourvus de vocation religieuse, qu'on poussait dans l'église afin de réserver l'héritage paternel au premier né, de ne pas morceler le fief ?
    Le vieux Robert approchait de la soixantaine. Chenu, voûté, mais encore doté de toute sa tête, il se rappelait l'époque où la Champagne constituait l'ennemie naturelle de la France, qu'elle bordait à l'est, au sud, au sud-ouest. Elle ne rendait directement hommage au roi que pour quelques fiefs mineurs – vassale sinon de divers feudataires ainsi que de l'empereur. Quelques décennies plus tôt, frustrés par les Plantagenêts de la succession au trône d'Angleterre, les Champenois s'étaient rapprochés de la France afin d'opposer un front commun à la puissante maison angevine. Plusieurs mariages avaient scellé cette alliance, dont celui de Louis et d'Adèle, et il semblait que les adversaires d'hier fussent désormais les meilleurs amis du monde. Le comte de Dreux, malgré cela, n'aimait guère ces encombrants voisins, craignant leur goût du pouvoir et leur ambition. Bien qu'il n'en laissât rien paraître, leur morosité du moment, et surtout le fait d'en connaître la cause, le réjouissaient au plus haut point.
    Trois autres personnages se tenaient à l'écart des deux factions, causant à voix basse aux abords du foyer. Un grand seigneur, tout d'abord, le connétable Raoul, comte de Clermont-en-Beauvaisis, robuste homme de guerre auquel une calvitie précoce et des traits poupins conféraient un visage de bébé qui ne trahissait nullement son habileté de diplomate ni son ardeur au combat. Les deux autres, presque des vieillards, faisaient partie de ces individus que le roi Louis avait su distinguer et élever à des fonctions auxquelles les appelaient leurs mérites plus que leur rang : le chambellan Gautier et le maréchal Robert Clément, le précepteur du jeune Philippe.
    Malgré le sérieux qu'affichaient les trois hommes, des sujets futiles alimentaient leur conversation, laquelle ne poursuivait qu'un but : les dispenser de s'asseoir avec l'un ou l'autre des nobles partis en vis-à-vis – le connétable parce que sa loyauté était pour l'heure acquise à un troisième larron, les deux roturiers parce que la leur n'appartenait qu'au roi, seul parmi les grands à ne jamais les écraser de sa morgue.
    Le dernier conseiller présent, le chancelier Hugues du Puiset, demeurait quant à lui solitaire – certes assis à table, et du côté capétien, mais assez loin de Dreux et de ses fils pour ne pas sembler les soutenir.
    — Que diable fait-il ? s'emporta soudain le sénéchal Thibaut de Blois. (Il abattit sur la table un poing aussi massif que le reste de sa personne.) Et pourquoi le Flamand n'est-il pas ici ? Ne serait-il pas convié ?
    — Voilà qui m'étonnerait de mon neveu, déclara posément Robert de Dreux. Comme mon frère avant lui, il n'omet de convoquer à son conseil que ceux dont il se défie.
    Thibaut, qui n'avait pas été convoqué au conseil précédent, n'eut pas la sagesse d'encaisser le coup sans broncher : il se leva, furieux,

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