Le roi d'août
afin de s'assurer cet incomparable allié ? Et voilà que le destin le lui ôtait.
Tout ça pour rien, songeait-il. À présent, tout est à recommencer.
« […] Grande noise et grand bruit.
Tous tendaient à bien férir.
Là, vous eussiez pu entendre si grand éclat
de lances, de quoi les fragments
tombant à terre jusqu'à se joindre
empêchaient les chevaux de poindre. »
Anonyme
3
S'il avait conservé le moindre doute quant aux allégations de Lysamour sur ses origines, il l'eût perdu lors du siège de Levroux.
En septembre de l'année précédente, Isabelle lui avait enfin donné le fils qu'il attendait, mettant ainsi le comble à leur bonheur conjugal. Le petit prince Louis, toutefois, était de santé fragile : durant l'hiver, une mauvaise fièvre l'avait saisi, qui l'eût sans doute emporté si son père n'était intervenu : fût-ce au prix de son salut, Philippe se refusait à risquer la vie de son héritier.
En outre, au fur et à mesure que les années passaient, que sa mésaventure forestière se faisait plus floue dans sa mémoire, il en venait à se demander si ses dons de guérison ne lui venaient pas de Dieu et de l'onction, après tout. Peut-être Lysamour et celui qui se disait roi de ces créatures s'étaient-ils entendus pour l'effrayer dans un but qui lui restait inconnu. Peut-être avait-il tout simplement rêvé. Il n'y croyait pas réellement, mais à force de se le répéter, il espérait finir par s'en convaincre.
Ce qui se produisit durant la campagne du Berry, en l'an 1188 de l'Incarnation du Seigneur, balaya comme fétus de paille ces velléités d'aveuglement et scella une fois pour toutes sa destinée.
Il faisait chaud, terriblement chaud, bien qu'on fût au tout début du mois de juillet. Depuis des semaines, les pluies ne daignaient plus arroser la terre : les récoltes périclitaient, on craignait la disette. À Levroux, assiégés et assiégeants souffraient de la soif.
— Voyez vous-même, sire, déclara le connétable Raoul en désignant le minuscule filet d'eau presque stagnant qui sinuait au fond d'un lit de rivière caillouteux après avoir glissé le long du coteau couvert d'herbe jaune. Que vous disais-je ? La dernière fois que je suis passé par ici, c'était un véritable torrent, et aujourd'hui…
Philippe hocha la tête, pensif. Une partie de lui, irrationnelle, se réjouissait de cet état de choses. Depuis presque dix ans, malgré son affinité naturelle pour l'eau, il s'efforçait de l'éviter, sinon dans son bain. Même de la Seine, au pied du palais, il ne s'approchait qu'exceptionnellement, écartelé entre crainte et désir. Ce jour-là, pourtant, il eût voulu que ce ruisselet qui coulait non loin de Levroux, seule source à des lieues à la ronde, s'enflât d'eaux abondantes, tumultueuses. S'il ne pleuvait pas rapidement, il serait contraint de lever le siège : logée à la même enseigne que son armée, la garnison de la ville possédait l'avantage de réserves de vivre et d'une motivation supérieure qui lui permettrait de tenir jusqu'à ce que les soldats français, taraudés par la soif, en vinssent à déserter. Or, lever le siège, abandonner la lutte, reviendrait à s'avouer vaincu après une campagne jalonnée de victoires. Ce serait dire à Richard et Henri Plantagenêt : « Conduisez-vous comme bon vous semble, messeigneurs ; il n'est pas en mon pouvoir de vous en empêcher ! » Cela, il ne le voulait à aucun prix : chaque fois qu'il songeait à ceux qui étaient désormais ouvertement ses ennemis, il entendait résonner en lui les paroles de son père.
Le danger, c'est l'Anjou…
Louis VII avait manqué de force, non d'intelligence. Faute de pouvoir circonvenir Henri II, il lui avait opposé tous les obstacles possibles, encourageant notamment en sous-main les révoltes de ses fils. Philippe eût voulu suivre cet exemple, mais la mort d'Henri le Jeune puis celle de Geoffroy l'avaient privé d'instruments de poids. Restaient Richard, qui n'était pas mûr pour devenir son allié, et Jean, qui ne comptait pas encore. Il fallait donc trouver d'autres moyens.
La maladie ayant emporté l'héritier du trône d'Angleterre avait fourni une bonne raison de rompre les relations cordiales avec le vieux roi : en prenant pour femme Marguerite, demi-sœur de Philippe, Henri le Jeune avait gagné Gisors et le Vexin Normand, une dot qui, c'était convenu, retournerait à la France si l'épousée devenait veuve sans descendance.
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